La maison aux pervenches

La belle demeure semblait tel un fort, campée au coin de deux belles avenues. Ses murs d'une couleur rosée et parsemés de quelques fenêtres et ouvertures qui venaient orner la façade semblaient, somme toute, fort accueillants. De la maison aux pervenches - qui devait son nom aux multiples fleurs bleutées qui s'épanouissaient dans le jardinet de la résidence - s'élevait une fumée légère, signe d'un petit four à pâtisserie, surnommé le "Bijou de Tétèr" par... Aymé lui-même.

Des jolies pièces d'une taille acceptable se succédaient les unes aux autres avec élégance, et au sommet de plusieurs escaliers, une vaste bibliothèque que chérissait le vieil homme.

Un gamin que ses parents surveillaient de loin vint frapper à la porte de l'évêque de Toulon et attendit qu'on lui ouvrit pour commencer ce qu'il avait à faire, et vite parce qu'il se sentait con au possible...

Il se mit à sautiller d'un pied sur l'autre en chantant à tue-tête:

De la fougasse, de la fougasse!
Oh qu'on l'agace!

De la fougasse, de la fougasse!
Bien belle et grasse!

De la fougasse, de la fougasse!
Contre l'temps qui passe!

De la fougasse, de la fougasse!

Il s'arrêta, ne se souvenant plus des bièces paroles qui suivaient...Puis une lueur de génie dans les yeux, il reprit:

De l'as des as!

Le gamin tendit un paquet enveloppé dans une pièce de tissu et sur lequel un petit mot était fixé.

Paraît que c'est pour vous M'sieur Curé Magister. Au revoir!

Et le gamin décampa aussi vite qu'il était arrivé.

Sur la note, c'était l'écriture de Kylah:

Citation :: Mon cher Aymé,
Comme tu vois, j'ai pensé à toi lorsque j'étais à Aix!
Voici une bonne fougasse, déguste-la bien! Surtout vu l'nombre d'écus que j'ai donné aux parents du gamin pour son p'tit numéro! J'espère qu'il l'aura fait, sinon j'me fâcherai quand je rentre! Non mais!

Enfin bref! Bon appétit à toi, déguste-la bien!
Pour moi, tout se passe très bien jusqu'à présent.
Je t'embrasse, Kylah.

Et dans le paquet..une belle fougasse!

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Un jeune vint frapper à la porte, Aymé lui ouvrit avec un sourire. Il avait entendu son petit chant de loin, et cela l'avait fait glousser de rire. Bon public, ça, il l'était ! Le premier à se prendre un bon fou rire en taverne ! Mais ce message lui fit garder une mine grave, et après avoir donné une piécette à l'enfant, il récupéra le paquet et se hissa jusqu'à son bureau.

Là, il lut la lettre, et les larmes lui vinrent aux yeux. Kylah lui manquait, c'était indéniable... Le vieil homme espérait qu'elle reviendrait au plus tôt, et il mangea une part de fougasse en son honneur, puis se pressa de répondre :

Citation :: Ma chère Amie,

J'espère que tout va bien pour toi, tu dois être arrivée à la frontière désormais... Pourvu que les autorités t'aient laissé passer !

J'ai mangé un bout de ta délicieuse fougasse, un véritable régal. Je t'en remercie grandement. Par ailleurs, saurais tu m'indiquer où trouver quelques bouteilles de ta si délicieuse gnole? Le vin de messe devient lassant...

Sinon, à Toulon tout est bien calme... Yunette et moi avons fait quelques âneries diverses et variées, mais par pur amusement ! Et j'ai démissionné hier du conseil comtal... Quel soulagement ! Je n'avais plus de temps pour moi depuis le début du mandat précédent. Heureusement, je me rattrape en taverne.

Je t'embrasse, et mes prières t'accompagnent.
Tétèr.

Content de lui, il accrocha le petit parchemin roulé à la patte d'une petite colombe qui saurait aisément trouver Kylah...

En ce petit matin du samedi, Aymé décida qu'il était temps de se faire une petite ballade au bord de la mer... Et pas de la maire... Ahem. Buvant un verre de lait de chèvre qu'il affectionnait, il se vêtit d'une simple chemise et de braies, et partit en direction de la plage, tout en chantonnant quelques mélodies provençales.

Il était de bonne humeur, ce matin, quand bien même sa nuit avait été légèrement mouvementée. Il avait étudié longuement, avant de se coucher, et n'avait pas su trouver le sommeil... Cette promenade lui ferait du bien.

De retour après une longue absence, Aymé poussa la grande porte de sa maison et s'engouffra à l'intérieur... Quel bonheur de se retrouver enfin chez soi ! Posant son lourd bagage et ayant attaché sa belle jument, il se sentait prêt à... faire une bonne sieste ! Ainsi, il s'étendit sur son fauteuil et se mit à somnoler et ronfler dangereusement...

A son réveil, il se précipita vers son écritoire, et rédigea vite une lettre qu'il aurait dû écrire depuis bien longtemps.

Citation :

Nous,
Aymé Von Frayner
Evêque de Toulon,
Recteur de l'ordre grégorien,
Protonotaire Apostolique,
Ordenskaplan Teutonique,
Seigneur de Rosières sur Salines,

En notre âme et conscience,

En ce jour du vingt-quatre janvier MCDLVI,

Faisons part à la hérauderie du Sacrum Romanorum Imperium Nationis Germanicae de notre désir de reconnaître en tant que notre petite fille la Dona Yunette.

Par la présente, nous reconnaissons de même notre fils Philippe Von Frayner (HRP : PNJ ), père de notre petite fille, et issu d'une relation illégitime précédant notre entrée dans les ordres.

De fait, nous reconnaissons aussi toute descendance de notre petite fille.

Scellé à Touloun, de notre main et par notre seule volonté.

(Le dimanche, au matin...)

Lorsque Kylah quitta sa demeure, le soleil était déjà haut dans le ciel. Elle prit plaisir à cheminer jusqu'au centre-ville non loin. En passant, elle jeta un coup d'oeil dans la fontaine pour vérifier qu'elle était présentable. Il ne fallait pas qu'Aymé la trouve débraillée sinon il s'inquiéterait encore du long voyage qu'elle venait de faire.

Jugeant qu'elle était relativement présentable, elle poursuivit sa route jusqu'à la Maison aux pervenches. Là, elle resta plusieurs minutes immobile devant la porte à hésiter.
Et s'il dormait encore? Et s'il travaillait? Le déranger à l'improviste de la sorte? Peut-être était-ce mieux d'attendre en taverne simplement...

Oh puis non hein! J'suis chargée comme une mule!

Sur ces bonnes paroles, Kylah frappa trois coups à la porte, deux fois de suite...Pour un total de six coups frappés avec bonne poigne. C'est qu'elle espérait se faire entendre!

Puis elle attendit qu'on vint lui ouvrir.

Sa belle maisonnée, un peu déplacée afin d'arriver en centre ville, ne se trouvait plus désormais à un coin, mais se dressait, seule et imposante, au beau milieu de la ville. Sa tour avait été un peu redressée, car il avait profité de l'abondance de charpentiers et nouveaux maçons pour restructurer un peu sa demeure. Satisfait de son habitat, il avait aussi fait repeindre un peu les murs, qui prenaient une teinte plus éclatante.

Assis sur sa terrasse, dorant au soleil comme tout provençal qui se respecte, un peu de pastis dans sa main, il attendait avec une certaine patience la visite de sa petite fille, à qui il avait demandé de passer... Lui ayant fait part de projets, Aymé avait décidé qu'il était temps de lui transmettre peu à peu une part de son héritage.

Il lui avait fait promettre de passer, ce qu'elle fit. Son grand père avait visiblement quelque chose à lui dire. Elle ne savait quoi, mais il lui avait paru soucieux. Il s'inquiétait de la présence de sa mère à Toulon, elle aussi d'ailleurs, mais elle nourrissait l'espoir que sa génitrice avait changé, qu'elle n'était pas là pour lui faire du mal.

Arrivant devant chez son grand père; Yunette fut vite gagnée par l'image toute estivale qu'il offrait, pastis et soleil, que demander de mieux ? Entrant sans frapper, elle alla le rejoindre sur la terrasse et se laissa tomber sur un siège à côté de lui, sans rien dire.

Une présence se fit sentir, près de lui. Présence féminine, familière... Il laissa ses lèvres s'étirer en un sourire, puis se releva, après avoir bu une gorgée de pastis. Il la regarda un instant... Il ne savait pas si ce qu'il faisait était juste, ou ne l'était pas, mais peu importait.

Suis-moi.

Ce fut les seuls mots qu'il prononça, avant de s'engouffrer dans sa demeure, montant les marches d'escalier avec une rare vivacité. Son bureau, qui faisait office de bibliothèque, avec la pièce qui le jouxtait, s'ouvrit en même temps qu'il poussait la porte. Les parchemins désormais bien rangés, avaient disparu de sa table de travail, la laissant vide, excepté un écritoire, une plume, un encrier et... Un coffret.

Il s'approcha, espérant que sa petite fille le suivait, et ouvrit le coffret avec délicatesse. Des reflets dorés et argentés s'en émanèrent, et Aymé saisit un poignard orné dans sa main. Il était à la fois assez sobre, puisque les quelques pierres incrustées étaient d'une couleur rouge sang et noir, et le manche était recouvert d'argent, par endroits, dansant par fils avec le bois. Il saisit la lame, et déposa l'arme dans la main de Yunette.

Sait-on jamais...

Il avait encore autre chose à lui offrir...

Souriant en retour à son grand père, Yunette restait pensive, se demandant bien pourquoi il lui avait demandé de venir. En croisant son regard, l'interrogation se fit plus pressante. Elle lui emboita le pas, rapidement, il était empressé, la jeune femme l'aurait bien retenu pour qu'il ne se fasse pas mal, comme souvent après quelques efforts, mais elle sentait que ce n'était pas le moment.

Elle le regarda ouvrir un coffret et en sortir une dague comme elle n'en avait jamais vu. Pour elle, les armes étaient simples, une poignée, une lame, métal et cuir, rien de plus. Là, son grand père lui mis en main une arme d'une rare beauté. Sans mot dire elle la contemplait, n'osant imaginer qu'objet de telle facture soit destiné à donner la mort. Son entrainement, du moins le début, avec Eavan lui avait appris à apprécier le poids d'une arme et la qualité d'une lame. Celle ci ne faisait défaut en rien et se faisait à sa main, à moins que ce ne fut l'inverse.

Sortie de sa contemplation par les mots d'Aymé, elle fronça les sourcils, comprenant dans son silence ce qu'il voulait dire. Sait on jamais si elle te veut du mal... Sait on jamais si tu veux te séparer d'elle... Il était homme de Dieu et l'arrivée en ville de sa mère lui faisait avoir de sombres pensées. Elle espérait encore, que cette arme n'était qu'un présent et qu'elle n'aurait pas à s'en servir, surtout pas contre sa mère. Levant les yeux vers lui, elle ouvrit la bouche pour lui dire que non, elle ne pouvait pas accepter que cela était à lui qu'elle ne savait même pas quelle était cette lame qu'il gardait ainsi ni son histoire, mais son regard lui intima de se taire, il avait autre chose à dire. Elle hocha simplement la tête, en signe d'acquiescement, d'accord sur la signification du don qu'il venait de lui faire.

Un sourire malicieux vint éclairer son visage inondés par les rides. Ce qu'il comptait offrir à sa chère petite fille ne tenait pas dans son bureau, alors il lui fit à nouveau signe de le suivre. Aymé ne pouvait être plus heureux qu'il ne l'était, avec une telle petite fille, pleine de vie et de vivacité. Il la mena jusqu'à une pièce d'une taille convenable, qui constituaient sa salle d'entraînement, lorsqu'il avait encore la force d'user de son bâton de bois.

Au centre de cette pièce trônait désormais, à la place de l'ancienne armure ancienne qui était la sienne quelques décennies auparavant, un tout nouvel équipement, remis à neuf, à partir des pièces d'origines. Décomposée en pièces légères, afin que Yun puisse la porter et combattre avec grâce, tel un félin. Il n'avait pas fait retravailler cette armure afin que sa petite fille s'adonne au péché de tuer, mais plutôt pour éviter qu'elle soit elle-même tuée. Il avait profité aussi de l'occasion pour faire orner ces pièces de quelques dorures, d'aucun intérêt au combat, mais finalement assez jolies...

Rangeant le poignard à sa ceinture, Yunette suivit son grand père jusqu'à une pièce qu'elle ne connaissait pas. Une armure y trônait. Une armure à la forme féminine. La jeune femme resta bouche bée devant puis se tourna vers son grand père et, telle une enfant à qui on offre un jouet, lui sauta au cou en riant.

Mais Papé ! C'est magnifique ! C'est pour moi ? C'est vraiment pour moi ?

Tournant autour de l'équipement elle n'avait de cesse de l'observer, de l'admirer. C'est qu'avec une marraine telle que la sienne, elle avait fini par acquérir le goût des armes et commençait à savoir apprécier leur qualité. Pareil pour les armures. Les pièces coordonnées semblaient étudiées pour ne pas se gêner entre elles sans pour autant laisser de partie à découvert.

L'essayant avec l'aide d'Aymé, elle eut l'impression qu'elle était faite pour elle. Ce qui, d'ailleurs, était le cas. Elle y était à l'aise, et restait relativement silencieuse. Le poids était supportable pour qui voulait marcher longtemps et elle n'était en rien gênée dans ses mouvements. C'était la première fois qu'elle enfilait telle armure légère et en était fière. Elle l'ôta ensuite et retourna étreindre son Papé en souriant.

Je... Merci !

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