une bien étrange occupation

Volets fermés, seule en sa chambre, éclairée seulement de la lueur de deux chandelles, Paquita était assise devant une petite table. Elle s'était mise à l'aise, ne gardant que son corselet et son jupon de baptiste. Ses longs cheveux dénoués croulaient en un torrent jusqu'au tabouret où elle avait pris place.
Quiconque l'aurait contournée aurait été frappé par l'intense concentration de la jeune femme. Ses doigts s'activaient devant elle avec rapidité et précision. Sur la table des objets disparates étaient étalés : une belle pièce d'ambre dorée, telle une goutte de miel, luisant à la lueur de la flamme, côtoyait 4 canines recourbées et pointues d'une sauvagerie qui donnaient le frisson. Un peu partout sur la nappe de toile blanche, des fleurettes séchées aux pétales recroquevillées se mêlaient à de minuscules vertèbres blanches formant autant de petits tubes percés en leur centre.
Mais ce qui attirait surtout le regard, c'était une chaîne qui châtoyait entre les mains de la femme. Elle était manifestement d'un or pur, ses fines mailles coulaient entre les mains de Paquita en un serpent nerveux et comme animé par une vie propre.
Paquita entreprit de dissimuler cet or quasi liquide en enfilant quelques vertèbres, elles s'ajustaient à merveille à la chaîne, dissimulant sa nature précieuse. En posant la main sur l'une des canines, Paquita fut submergée par un flot de souvenirs et une larme perla au coin de son oeil.
En un instant l'odeur du sous bois envahit ses narines, elle se revit, jouvencelle, pieds nus près d'un ruisseau, s'apprêtant à boire dans sa main comme en une coupe lorsqu'un grognement sourd lui avait fait relever la tête. Face à elle, deux yeux luisants comme des lanternes vertes.


Une louve, sur l'autre rive, la fixait. L'enfant qu'elle était encore eut la pensée que la bête avait une tête magnifique et elle fut comme étonnée et flattée de la voir si proche. Au moment où l'animal s'apprêtait à bondir, il poussa un gémissement rauque et s'affala sur le flan. Paquita, sans plus raisonner traversa la rivière, le bas de sa jupe se chargeant d'eau. Elle s'approcha avec curiosité de la bête qui poussait maintenant de petits cris plaintifs. Paquita s'aperçut alors que son ventre gonflé était animé de vagues, elle tendit la main sur le flan humide de sueur et la laissa posée là, sans bouger. L'animal avait fermé les yeux. S'enhardissant Paquita avait alors caressé le ventre de l'animal en un mouvement circulaire. Une contraction plus puissante creusa le flan de la bête et Paquita eut alors la surprise de voir sortir de sous la queue de l'animal une boule humide couverte d'une membrane blanche nacrée de bleu. La mère se redressa pour tenter de la renifler mais la douleur la cloua au sol. Comprenant son intention Paquita se saisit du petit paquet qui l'étonna par sa chaleur et le tenant en ses mains jointes comme en une coupe le présenta à la femelle qui se mit à lécher et mordiller cette enveloppe. Bientôt un louveteau aux poils collés, aux yeux fermés se retrouva sur le sol devant le museau de la louve. Celle-ci leva les yeux sur l'enfant qui plongea en son regard fascinant. Mais un nouveau gémissement interrompit l'instant. Reprenant la manoeuvre qui avait semblé réussir juste avant, Paquita reprit ses massages et présenta l'autre boule à la louve. Ce moment resta gravé en elle et elle savait qu'elle pourrait faire appel à ce souvenir chaque fois que la vie se montrerait dure pour elle. Elle se souvenait aussi être allée pendant tout le printemps rendre visite à cette famille peu ordinaire. Les saltimbanques qui l'avaient recueillie et avec lesquels elle vivait s'étaient pour un temps fixés près d'un village où leurs talents multiples avaient trouvé amateurs. Les jours coulaient et l'enfant allait souvent s'asseoir près de son amie la louve et l'échange de regard qu'elles avaient alors leur tenait lieu de conversation.
A la fin de l'automne, l'animal fut absent à leur rendez-vous, Paquita revint plusieurs jours de suite et attendit, en vain. Au bout de quelques semaines, n'y tenant plus elle s'enfonça dans le bois et se mit en quête de son amie.
Elle finit par la retrouver, au fond d'un vallon, son corps gisait. Paquita se précipita, glissant sur les feuilles humides. Arrivée près des restes, elle contempla la dépouille de la louve, son pelage magnifique, collé par le sang, son ventre rongé par les charognards. La tête , surtout lui causa un choc. Le rictus de la mort avait découvert les babines et de nombreuses fourmis s'affairaient à y découper un butin. Le regard de Paquita glissa jusqu'à une patte. Celle-ci était sectionnée un peu au dessous du coude et une grande flaque de sang avait imbibé l'humus en dessous.
La petite se mit à trembler, de chagrin, de haine. La violence qui monta en elle alors aurait pu faire peur à voir à celui qui se serait aventuré dans ces taillis. Mais il n'y avait âme humaine à des lieues. Obéissant alors à son instinct, Paquita, prit la tête entre ses mains, en chassant les fourmis puis agrippa l'une des canines. Celle ci résista. Prise de fureur, l'enfant se saisit d'une pierre et l'abattit de toutes ses forces sur la gueule décharnée. Elle recommença plusieurs fois jusqu'à ce que les canines reposent sur la mousse humide. elle s'en saisit alors et les enfonça dans sa poche. puis s'aidant d'une pierre plate, elle se mit à creuser furieusement, férocement. Lorsque le trou fut assez profond, elle y fit rouler la charogne et la recouvrit .
Lorsque les saltimbanques la virent arriver, ses vêtements maculés de boue et de débris végétaux, ils ne firent aucun commentaire et lui tendirent un bol du ragout de hérisson qui cuisait dans la marmite. Sans un mot, Paquita s'en saisit, et ayant essuyé ses doigts sur ses joues se mit à dévorer la chair à belles dents. Elle resta ainsi sans parler, entre sauvagerie et humanité, sans prononcer un mot, ne s'exprimant que par grognements durant plusieurs semaines. Puis Samo le Père avisant qu'elle jouait avec les canines de la louve, les lui prit doucement des doigts, en détacha les morceaux d'os qui y adhéraient encore et patiemment, enseigna à l'enfant comment les trouer pour les ajouter à son collier. Ce ne fut que lorsque cette tâche fut accomplie que Paquita put retourner parmi les hommes.

Poussant un soupir, Paquita enfila deux canines sur son collier, laissant de côté les deux autres qui viendraient plus tard., elle continua son travail, ajoutant ça et là des pâquerettes séchées. Fleurs auxquelles elle devait le nom que chacun lui connaissait et qui la ramena encore une fois à l'époque de sa vie avec les saltimbanques. Ceux ci ne la nommaient pas. Ce n'était pas nécessaire. Mais la troupe s'aperçut un jour qu'il allait falloir s'occuper de cela car dans les villages, on commençait à les interroger sur cette fille. Et puis dans cette famille, chacun avait un nom, Il y avait Samo le Père, Ghaniallia la Mère et Juan le Fils, un garçon de son âge qui l'accompagnait du tambourin quand il s'agissait de danser sur les places pour gagner quelques piécettes. Le nom fut vite trouvé. Elle affectionnait ces fleurs qui poussent presque toute l'année et en piquetait ses longs cheveux quotidiennement. Une cérémonie familiale fut donc organisée et Ghaniallia avait posé sur la tête de la jeune fille une couronne de pâquerettes tressées en lui signifiant qu'elle devait désormais répondre à ce nom.
Quand les doigts de Paquita se posèrent sur l'ambre, elle hésita un instant. Si elle connaissait l'origine et la signification de chaque pièce de son collier, celui-ci était un mystère pour elle. Samo lui avait dit un jour que c'est ce qu'elle avait sur elle quand ils l'avaient trouvée, enfouie sous un buisson, emmaillotée dans un tissu brodé, raide de sang séché. Ils avaient d'abord cru que l'enfant était morte mais elle s'anima bientôt à la chaleur des mains de Ghaniallia. Ils s'aperçurent qu'elle n'avait aucune blessure mais que le tissu qui l'enveloppait semblait avoir reçu un coup de lame tant l'entaille qui se trouvait au centre de la tache était nette.
Paquita se redressa et fouilla sa poche. Elle en sortit, une pierre grise et rugueuse.
Alors qu'elle se demandait comment concrétiser son passage au statut d'artisan, la réponse était apparue d'elle même. Lorsque la meule avait commencé à tourner pour la première fois, elle s'était arrêtée net, bloquée. Paquita s'était alors avancée pour voir de quoi il retournait. Un éclat s'était alors détaché, dans un claquement sec, de la lourde pierre et avait roulé à ses pieds. La saisissant prestement, Paquita s'était dit qu'une fois de plus la providence avait volé à son secours. La meule avait recommencé à tourner et les paysans présents qui avaient amené des sacs de blé saluèrent l'événement avec moult exclamations de satisfaction.
Finissant rapidement son collier, Paquita l'agrafa autour de son cou puis elle se pencha sur le plat de métal rempli d'eau qui lui servait de miroir. On ne voyait nullement l'or, recouvert des vertèbres et la jeune femme fut satisfaite du résultat.
Puis se vêtant rapidement, elle souffla les chandelles et s'en fut d'un pas pressé vers la taverne.

Tancrel était parti pour la pêche. Après s'être assurée que sa barque voguait au loin dans le scintillement des vagues, Paquita ferma les portes à double tour.
Elle se dirigea sans plus tarder vers la cheminée, remit une bûche dans celle-ci puis se décalant de quelques pas, elle étala un linge au sol contre le mur. Restant à genoux, elle se mit à palper les pierres. Rapidement elle retrouva celle qu'elle cherchait et à l'aide de son couteau, se mit à gratter tout autour, prenant bien soin de récolter la chaux sur le linge.
Elle n'eut pas trop à travailler, la pierre se mit à branler suffisamment pour qu'elle puisse introduire ses doigts autour et, après quelques effets de levier la desceller complètement. Elle déposa la pierre soigneusement devant elle et enfonça le bras dans la cache ainsi révélée.
Après quelques tâtonnements, elle en tira un sac de tissu noué par un lien.
Avec précaution, elle dénoua le ruban, secoua le sac et sortit une toile roulée serrée. Elle la déroula délicatement en la lissant du plat de la main et l'étala sur ses genoux et contempla la broderie qui en était le centre. Du doigt, elle suivit les traits, l'air préoccupée.
Elle fit alors prestement glisser sa robe de ses épaules et tendant son bras, elle le tourna vers le haut. Un étrange tatouage papillota à la lueur des flammes. Elle compara alors les deux dessins et eut une pensée admirative pour le vieux Manolo qui avait si bien su reproduire la broderie sur son bras.
Elle se souvint des longs moments passés, enfant, à rester sans bouger, serrant les dents, lorsqu'avec sa lame, il entaillait avec précision sa chair tendre.
Elle s'était demandée pourquoi Samo avait mandé le vieil homme et encore plus pourquoi il avait été nécessaire de lui infliger cette torture.
Samo, laconique, comme à son habitude, lui avait expliqué que si la toile disparaissait un jour. Il serait bon d'en avoir une copie. Ne comprenant pas le sens de ses paroles, elle s'était soumise, confiante dans le jugement de cet homme qui n'avait jamais rien fait à la légère.
Son imagination avait longuement vagabondé sur ce tatouage. Elle avait pensé alors un homme se faisant avaler par un serpent et tentant de le piquer de sa fourche.
Elle s'était demandé pourquoi surtout le placer à l'intérieur du bras. Samo, qui avait décidément réponse à tout lui dit que lorsqu'on a un si beau dessin, il vaut mieux le dissimuler à la convoitise, comme les îcones dans les églises. Ghaniallia lui avait confectionné des manches à rajouter à sa camisole et dans son souvenir, elle n'avait plus jamais eu les bras nus.
Elle se secoua soudain, électrisée. Tancrel... Tancrel, lui, avait vu son tatouage, il en avait parlé en public, plaisantant sur ses manières de marin. Elle n'était plus assez naïve pour croire un instant que ce dessin était juste une décoration. Elle avait bien compris que ce linge brodé, devant elle était celui dans lequel Samo l'avait trouvée. Elle frissonna en regardant la déchirure bordée d'une tache sombre. Elle se doutait bien qu'il y avait eu de la violence, du sang.
Tancrel, son coeur se serra, il ne fallait pas qu'il ait à souffrir par sa faute. Se décidant soudain, elle se dirigea vers une petite table ou l'attendaient quelques flacons et doucement, patiemment elle entreprit de modifier le dessin, rajoutant des poissons par ci, des cornes, par là, des ailerons le long des bras et surtout elle s'appliqua à recouvrir l'inscription courant le long du trident. Puis elle attendit. Tancrel ne verrait sûrement pas la différence et elle avait dissimulé l'essentiel.

Sentant que les encres étaient sèches, elle s'activa, roulant le tissu, le replaçant là où elle l'avait caché. Puis elle positionna la pierre qui en était la gardienne. Récoltant la chaux dans un bol, elle y ajouta un peu d'eau, puis ayant bien mélangé le tout, replaça cette pâte de là où elle venait, s'arrêtant souvent pour juger de l'effet. Lorsqu'elle fut satisfaite, elle poussa un coffre devant et se releva vivement. Elle lava et rangea fébrilement tout le matériel qu'elle avait utilisé, ne laissant aucune trace de son activité.
Elle se dirigea vers la cuisine pour préparer le repas, Tancrel allait bientôt rentrer.

Au crépuscule de ce jour, Tancrel rentrait tout guilleret et chantait à tue-tête les chansons des bretons qu'il avait croisé sur son chemin

"Ce sont les filles des forges
Les forges de Pinpon Di-Li-Dondaine
Les forges de Pinpon DI-Li-Dondon"

Tancrel héla Paquita

"Youou Paqui!!!!! C'est moi !!!!"

puis en essuyant les pieds, il reprit sa chanson

"Lorsque qu'elles vont à confesse
au curé du canton Di-Li-Dondaine
au curé du canton Di-Li-Dondon"

Il passa la porte, Il aperçut Paquita en train d'éplucher des légumes. Le marmiton, accroché à la crémaillère de la cheminée, bouillait gentiment et donnait un air moite et accueillant par les fragrances des herbes et de l'ail pendus au dessus.

Il montra ses mains vides et fit une grimace de dépit pour lui signifier qu'il n'avait rien.
"Non j'ai rien pris....désolé. Je suis un piètre pêcheur"
Paquita eut un hochement de tête et répondit par un sourire au rire de Tancrel.
Ce dernier s'approcha, mit ses mains sur ses hanches et lui chuchota
"Y'a pas à dire! La prochaîne fois, c'est toi qui ira. Je suis un vié! Je dois me rendre à l'évidence, je n'ai pris qu'un poisson dans ma vie.."
Tancrel souriant lui susurra dans l'oreille
"C'est toi"
Et d'une manière extravagante "OH mais pourtant on avait pris une sole avec Lebon, Oh bonne mère!! Elle était grande comme ca"
Tancrel étendait ses bras de tout leurs longs.
" Je te le dis comme ça!"
De dépit, lançant sa main à l'arrière de son épaule "Mais la coquine elle s'est débattue..et puis..et puis on a tiré, tiré..et la ligne a cassé"
"Moi je te le dit tout net hein! Je n'irais plus à la pêche et puis c'est tout!"
Tancrel s'aperçut enfin que Paquita s'affairait comme une folle et que lui ne faisait que balbutier que de pauvres gros mensonges.
"Heu..Paquita, puis je t'aider?"

Paquita écoutait Tancrel. La joie de vivre de celui-ci était communicative et elle rit en l'entendant. Elle s'affairait tout en oyant les fariboles amusantes qu'il inventait dans le but de la distraire.
Elle se dit qu'il avait vraiment le chic pour se trouver toujours à l'endroit où elle comptait se rendre : devant la table, devant la cheminée, près de la pierre de la pile d'évier... Cela tenait du prodige.
A chacun de ses passages devant lui, il tendait le bras et lui caressait le flanc. Cela lui serrait à chaque fois le coeur de bonheur et elle serrait les lèvres en un sourire pour éviter de laisser éclater sa joie de le savoir de retour.
Elle s'activa de plus belle, le laissant virevolter autour d'elle, elle se hâtait car elle savait bien que son histoire terminée, il aurait grand faim...

Tancrel parlait en faisant de grands gestes, expliquant les techniques secrètes pour prendre une vulgaire sole mais qui, chose étrange, avaient lamentablement échouées.
Le reste de la journée, l'absence de Paquita lui manquait terriblement. Il ne pouvait s'empêcher de demander quelques accomptes en l'effleurant simplement, en devinant brièvement la tiédeur et le grain de sa peau.

Paquita s'affairait, avait déposé le lourd marmiton sur le bois de la table d'un lourd "CLOC".
Tancrel se posa sur sa chaise, souriant en regardant Paquita. La soupe était servie. Il sorti de sa poche son couteau.

une soupe aux milles senteurs provençales : basilic, ail, fèves, celeri, et courgettes. L'eau lui venait à la bouche à la vue de ce festin.



"Oh pauvre! Comme ça sent bon!! On va se casser le ventre!"

Tancrel récita la bénédiction avant le début du repas :

"Seigneur nous te remerçions pour tes bienfaits et de ce succulent repas. Amen"

Un grand panier d'osier posé sur la hanche, Paquita revenait du lavoir, elle souriait encore en pensant à toutes les bonnes paroles qu'elle y avait entendues... Les commères faisant généreusement marcher leur langue au rythme de leur battoir. Tout en marchant, elle rit tout haut, en repensant à une saillie verbale d'Elsas, une nouvelle venue au village qui manifestait verve et joie de vivre...
Puis, elle se concentra sur le repas qu'elle devrait préparer se voyant tirer du saloir un morceau de viande négociée âprement au boucher Seletus quelques temps auparavant. Tancrel n'avait pas ramené de poisson la veille et elle sourit se rappelant les excuses qu'il avait invoquées...
C'est qu'il ignorait qu'elle l'avait vu au loin, guettant son arrivée à la fenêtre... Elle l'avait vu offrant sa pêche à un pauvre hère qui mendiait sur le port. Elle l'avait approuvé mentalement et son coeur s'était gonflé d'orgueil de se savoir en compagnie d'un homme si bon.
A son retour, elle l'avait laissé débiter ses sornettes en souriant car elle avait bien vu les traces sanguinolentes que les entrailles des poissons avaient laissé sur ses vêtements quand il les avait vidés, démentant avec évidence ses propos de l'instant.
C'était justement ces vêtements qu'elle était allée laver ce matin. Tancrel n'était pas fortuné au point d'en avoir plusieurs de rechange, elle s'était dit que le soleil ardait suffisamment, accompagné d'une brise qui sècherait le tout en peu de temps.
Elle entra et alla étendre tout le suite le linge sur l'herbe fine de son jardin et rentra s'occuper du repas...
Quand les mets furent prêts, mis à mijoter en attendant l'appétit des convives,elle passa dans la grande salle pour y dresser le couvert.
Ainsi, elle pourrait ensuite courir à l'église écouter le prêche, tout serait prêt à leur retour.
Dès le seuil elle se figea, une onde de sueur glacée l'enveloppa, elle sentit le désespoir l'étreindre.
Là, près de la cheminée, le long du mur, le coffre avait été déplacé, sa cache béait, la pierre qui la dissimulait ayant roulé jusque sous la table.
Elle se précipita.
Sachant par avance le résultat de sa recherche, elle enfonça avec fébrilité son bras dans le trou. Son trésor, son héritage... avait disparu. Eperdue elle regarda autour d'elle et comprit en un instant son erreur : la chaux qu'elle avait utilisée avait mal colmaté la jointure, rendue friable par cette deuxième manipulation, rendant évident l'endroit même qu'elle avait voulu dissimuler.
Elle se releva désespérée, remit machinalement la pierre en place et balaya les gravats du bout du pied pour les éparpiller. Puis elle se dirigea comme une automate vers la porte d'entrée.
Le sermon allait commencer et jamais elle n'avait eu tant besoin du réconfort du Seigneur....

Au sortir de l'office, Paquita eut la surprise de se trouver face à une ombre gigantesque. Elle eut un mouvement de recul puis se reprenant, elle se morigéna, ce n'était qu'un ours !
L'animal, une boucle dans le naseau, tenu en laisse par une solide cordelette se tenait dressé, attendant les fidèles sur le parvis. Il se dandinait d'une patte sur l'autre en un mouvement comique, tout en grognant. Bientôt il y eut cercle autour de lui et de son dresseur, les rires fusaient. Les audacieux n'hésitant pas à aller tirer une touffe de poils quand la bête dressée leur tournait le dos. Ecoeurée par les rires gras et les réflexions salaces qu'elle entendait autour de la pauvre bête, Paquita s'écarta. Au coin de la cathédrale, un vieillard était assis, se rencognant dans un creux du mur pour se protéger du vent qui avait forci. Paquita s'approcha. L'homme, vêtu de haillons, releva la tête quand elle arriva à sa portée. Sa peau semblait faite de vieux cuir ayant séché au soleil en des plis disgracieux qui auraient durci, la bouche édentée laissait écouler un filet de salive que l'homme ne cherchait pas à éponger. Ses gencives d'un rose taché de plaques blanches montraient assez dans quel état de dénuement il se trouvait. Ce qui frappa le plus Paquita fut son regard, l'un de ses yeux était terni comme par un voile opaque. Après un échange de regard muet, Paquita se mit à fouiller nerveusement son aumônière, après ue brève hésitation, elle en sortit 5 écus qu'elle déposa près du vieil homme. L'odeur de sa peau mal lavée la révulsa un instant mais elle sut se reprendre, elle déglutit et tourna la tête un instant vers le renfoncement du mur. Cela lui prit un moment pour se ressaisir mais elle se releva bientôt. Elle vit les pièces briller sur le sol. Elle connaissait la valeur de l'argent et savait qu'elle s'était montrée dispendieuse mais la compassion lui dictait sa conduite en cet instant. Elle n'achèterait pas de pain ce jour là, la belle affaire !
Puis elle s'éloigna, le bas de sa robe faseyant autour de ses chevilles, agitée par le vent qui cinglait à présent. Serrant ses bras autour de sa poitrine elle affronta la bourrasque, le corps penché vers l'avant. Derrière elle, le gueux ramassa promptement les pièces de monnaie puis se relevant sans effort, se fondit dans les pas de la jeune femme.