Une famille retrouvée

Une liasse de papiers étaient étendue sur le bureau en bois massif, des traités de toutes sortes, des projets d'hagiographies, des cours inachevés, des homélies en partie copiées, des actes d'accusations ou même une feuille d'impôt. Mais ce qui captait l'attention de l'homme à la barbe blanche, c'était un parchemin vieux d'une quinzaine d'années, où des lettres délicatement rédigées annonçaient une vérité qu'il lui semblait complexe de nier.

Qui aurait cru qu'en fouillant dans les archives romaines, suite à leur inondation, Aymé trouverait ce document qui, à lui seul, modifierait la vie de plusieurs individus, à commencer par lui-même. Un regard vers la mer, qu'il pouvait apercevoir par une fenêtre lui rendit le sourire, il lui faudrait bien du courage en ce jour. Une courte prière ainsi qu'une pensée pour ceux qu'il appréciait, puis il rédigea un court billet qui, accroché à la patte d'un pigeon, s'envola quelques instants plus tard en direction de la maison voisine.

Citation :

Mon Amie,

Il me faut te voir dans les plus brefs délais.

Aymé.

A peine une minute après avoir quitté l'Antre des dieux, Yunette arrivait devant chez Aymé. La neige avait cessé de tomber, un blanc manteau recouvrait la ville. Les pas de la jeune femme avaient souillé l'immaculée blancheur, étouffés par le son crissant de la neige qui s'écrase. Elle observa la ville qui semblait endormie, çà et là, de la fumée s'échappait d'une maison, une lueur à une fenêtre... Et dire que c'était l'après midi!

Elle tapa ses chausses contre la pierre du seuil et actionna le marteau de la porte. Le froid l'avait saisie, elle se dandinait d'un pied sur l'autre, le nez déjà rougi, en attendant que l'on vienne lui ouvrir et qu'elle puisse rejoindre la douce chaleur du domicile de son ami.

Les pâtisseries sortaient à peine du four lorsque plusieurs coups se firent entendre à la porte. Avec un sourire, Aymé alla ouvrir et fit entrer Yunette dans le chaud de sa maison.

Merci d'avoir fait si vite... Suis-moi !

Gravissant pas à pas les escaliers, il la mena jusqu'à son antre, ce repère où les ouvrages décoraient les murs eux-mêmes ornés de bibliothèques en bois massif. Son bureau trônait au centre, et le vieil évêque s'assit, tandis qu'il désignait la chaise face à lui à son amie.

Yunette s'engouffra littéralement dans la chaleur du logis d'Uter. Une bonne odeur de pâtisserie flottait dans l'air de la maison.
Elle se défit rapidement de sa cape et suivit Uter qui paraissait quelque peu pressé. Il allait encore se faire mal au dos à aller aussi vite.
C'était la première fois qu'elle entrait chez son ami, elle dévorait les rayonnages des yeux.
Elle s'installa sur la chaise qu'il lui désignait et le regarda d'un air interrogateur, attendant qu'il prenne la parole.

Quelques brioches et gâteaux au miel avaient été déposées sur la table, et il s'en élevait une légère fumée odorante qui donnait l'eau à la bouche. Aymé avait des prédispositions au niveau culinaire, il aurait pu faire ça toute sa vie que ça ne l'aurait pas gêné... Nourir les marmottes avait été son occupation durant plusieurs mois... Un cureton tavernier, ça faisait sensation, à l'époque ! Pour tout avouer, le vieil homme aurait nettement préféré se goinfrer de ces délicieuses pâtisseries plutôt que d'en venir au fait, cela le gênait terriblement.

Mais il était temps, alors il prit une profonde inspiration et regarda Yunette dans les yeux :

Mon amie, j'ai... découvert, alors que je cherchais un possible certificat de baptême au cas où il ne suffise d'une simple confirmation pour toi... Et j'ai découvert que tu étais en effet baptisée, mais il y a d'autres choses...

Yunette n'écoutant que son odorat et son estomac avec prit une pâtisserie, au miel cela va de soi. Elle croqua dedans, savourant puis suspendit son geste alors qu'elle voulait en reprendre y mordre à nouveau en écoutant son ami. Il paraissait mal à l'aise. Elle fronça les sourcils.

Baptisée? déjà? J'en suis fort étonnée, ma mère ne m'a jamais parlé d'Aristote! Les seules fois où j'ai entendu ce nom c'était lors de jurons! Et non, je ne les redirai pas!
Elle marqua un temps d'arrêt. D'autres choses? Elle ne quittait pas Uter des yeux, qu'avait il donc de si important à lui dire?

La brioche ne lui résista pas, il mordit avec force dans celle-ci, et l'engouffra rapidement. Cela lui dénoua quelque peu le noeud qui lui tenait le ventre, et il saisit le parchemin légèrement vieilli, jauni par le temps, mais Dieu qu'il avait eu de la chance de ne pas être noyé dans les inondations des registres ! Aymé le tendit ensuite à Yunette. Il y avait écrit noir sur blanc le nom de sa mère, et surtout, de son père. Suivant le prénom, un nom illustre, que le vieil homme lut à haute voix :

Von Frayner...

Il déglutit, et poursuivit :

Philippe était... mon fils.

Bon il mangeait, Yunette fit de même, terminant sa pâtisserie entamée, bien qu'un peu tendue par ce qu'il avait l'air de tenir à lui apprendre. Elle déglutit quelque peu difficilement et se pencha sur le parchemin qu'il lui tendait. Elle y voyait deux noms, le premier qu'elle ne reconnut pas de suite, Mathilde Caron... Le second nom lui sauta aux yeux, Philippe Von Frayner, le fils d'Uter hein.
Elle le regarda, il paraissait vouloir lui montrer quelque chose d'important. Elle reporta son attention sur le parchemin. Elle plus bas un prénom qu'elle avait tenté d'oublier depuis longtemps, le sien, celui qu'elle avait donné à Uter pour les préparatifs du baptême. Elle fronça les sourcils, remonta sur le nom de la femme, ah oui... sa mère, "la Mathi" qu'on l'appelait... Elle ne se souvenait pas d'avoir entendu son de famille un jour...

Ses yeux cherchèrent alors ceux de son ami, sans vraiment comprendre ce que tout cela voulait dire. Enfin, elle comprenait mais n'arrivait pas à le concevoir vraiment. Celui qu'elle appelait "le papy" en riant, le serait vraiment? C'était tellement fou qu'elle n'y croyait pas encore vraiment. Elle restait bouche bée, sans trop savoir quoi dire, la surprise prenant le pas sur toute autre sensation.

Elle tiqua tout à coup,T'as un fils toi? Mais t'es évêque, non?

Le visage du vieil homme s'étira en un sourire... Les souvenirs, à nouveau, affluaient. Il se souvint de tout ce qui... s'était passé ! Il se résolut à regarder Yunette, elle était belle, elle aussi... Comme celle qu'il avait aimée, tant d'années auparavant, et que jamais il ne s'était résolu à oublier, quand bien même il ait prononcé ses voeux. La question de son amie le fit légèrement rire.

Vois-tu... Je n'ai pas passé toute ma vie à faire le vieil évêque, et à dormir en taverne. Comme tu le sais, il y a de cela quelques années, j'étais officier de l'armée lorraine. Et je suis tombé amoureux. Dieu que le choc fut rude ! Nous avons eu un fils, et, comme ma compagne était alors lieutenant, nous l'avons élevé dans l'univers militaire... C'était un garçon fort et indépendant, nous l'avons donc laissé vagabonder à sa guise, tout en gardant un oeil sur lui. Cela répond à ta question?

La jeune femme hocha la tête doucement. Oui, il n'avait pas toujours été évêque il avait aussi été homme et avait même vécu dans le pêché! Elle esquissa un sourire au fil de ses pensées. Fronçant les sourcils tout à coup, elle songea que si ce certificat de baptême existait, c'était que sa mère savait pertinemment qui était son père. Chose qu'elle lui avait caché toutes ces années. Sa mère qu'on appelait la Mathi, celle dont la vertu était plus que douteuse. Elle devrait lui poser des questions... de nombreuses question... quand elle serait prête à reprendre contact.

Silencieuse tant que l'idée cheminait en elle, elle brisa la porte de ses lèvres et se mit à parler. Mais tu es sûr de tout ça? Parce que ça m'étonne qu'elle m'ait faite baptisée moi, la Mathy, et puis elle m'a toujours dit que c'était un soldat de passage, comme les autres, et puis tu parles de lui au passé? Dieu que sa question était maladroite! Elle marqua un temps avant de reprendre en souriant, Et donc ça voudrait dire que ... quand je t'appelle Papy Uter, j'ai vrai? Yunette éclata de rire, Au moins, on ne se demandera pas pourquoi je dors en taverne! Je dois avoir ça dans le sang!

Un grand soulagement s'insuffla en Aymé. Il était si ravi d'avoir eu le courage de faire cela... Car il lui fallait reconnaître que son passé n'était pas des plus purs. Il fallait aussi avouer qu'il n'était pas un évêque comme les autres, et cela lui plaisait assez. Avec un sourire, il répondit à sa petite fille :

Et oui... Papy Uter...

Quant au sommeil en taverne... Hé hé... Ce doit-être dans les gènes ! Mais, malgré les vertus discutables de ta mère, j'ai élevé ton père dans une morale aristotélicienne. Il arrive souvent qu'on donne ce sacrement à peine quelques jours après la naissance.

Mais je pense que tu ferais bien de retourner t'occuper de tes enfants, le temps passe et je pense que l'heure de leur repas approche...

Et Dieu sait que l'heure du repas est importante pour les enfants...

Yunette était rentrée à l'Antre des dieux la tête pleine de pensées. Elle s'interrogeait sur le devenir de sa mère. Uter n'avait pas répondu quant à son père, ce qu'il était advenu de lui. Après avoir embrassé son grand père elle était repartie, avait machinalement ramassé l'ours en bois déposé sur le seuil par Kylah. Puis elle s'était occupée des enfants.

Quelques temps plus tard, son papé lui ayant proposé de lui apprendre la contemplation, elle se rendit chez lui pour ce faire. Ils étaient tous deux adeptes des siestes médiationnelles. Elle se demandait bien quel était l'art de la contemplation. Et puis... peut être pourrait elle l'interroger sur de nombreux points qui restaient sombres à son esprit.