Requiem en opposition majeure

La jeune femme marchait d'un pas décidé. Elle savait très bien où elle allait. Une cape à capuchon masquait son visage, ainsi que l'épée courte qu'elle transportait. Aucun signe distinctif, et bien méconnaissable dans la pénombre des quelques heures précédant le soleil.

L'humeur était aussi sombre que ses vêtements. Elle qui avait la réputation d'une femme de bien et de droiture avait plutot l'apparence d'un assassin. Hormi la démarche qui elle restait d'une droiture certaine. Ce n'était pas de la fierté, le mécanisme de ce qu'elle entreprenait ce matin là était mu par la colère en même temps que l'amour, par la vengeance comme par la justice.
Soudain la soeur grégorienne découvrait en elle un être capable d'une grande cruauté. Un sentiment de pouvoir sur les autres ... Une aimable tyrannie.

Arrivée devant la porte la jeune femme révisa ses gammes. Elle allait devoir oublier un instant toute pitié. Comme un soldat sur un champ de bataille, comme un de ces hommes qui affrontent des taureaux dans les arènes sableuses ... Ce n'était pas un taureau qu'elle affronterait mais une vipère ... Quoique peut être qu'Ignitio, le légume de la Salle des Plaintes serait présent. Auquel cas, Eavan avait prévu une sanction à hauteur de ce qu'elle soupconnait de ses agissements. Un sourire froid apparut sur ses lèvres tandis que sa main frappait avec douceur sur le bois usé de la porte.
Le moment était enfin venu. Celui de l'affrontement annoncé au premier regard qu'elles avaient échangés.

En plein sommeil dans les bras de la matrone, Lambda en fut tirée par des coups portés à la porte. Un client pressé, sans aucun doute. Et matinal. Enlevant le bras qui l'enlaçait, trop peu de clients, la Mathi n'en avait guère eu depuis quelques temps... Et Lambda s'était... dévouée... Elle enfila bien vite sa robe, ne prenant pas le temps de prendre une robe de dessous, ajusta rapidement son corsage et se dirigea, pieds nus, vers la porte. Elle passa devant les chambres ou Ignitio et Flaminia prenaient repos. Ignitio qui n'avait même pas su retrouver sa brutalité d'origine avec elle, et pourtant, elle l'avait mis en colère, espérant retrouver quelque amant fougueux, ceux d'ici étaient par trop doux. La nouveauté lui avait plu mais la bestialité lui manquait.

Ouvrant le judas, elle aperçut un homme à la carrure légère, le visage masqué par une capuche. Elle s'empressa d'ouvrir la porte, l'homme ne voulait sans doute pas être vu, d'où son arrivée tardive.

Sieur, bonjour, ou belle nuit.
Bienvenu en notre établissement, dites moi ce que vous désirez, vos désirs seront des ordres à mes oreilles.

Soumise comme à son accoutumée, elle le conduisit aux fauteuils moelleux, l'incitant à s'asseoir.

La porte s'ouvrit. Dans un premier temps, Eavan garda la tête baissée. En vérité elle ne savait que peu comment elle procéderait. Jamais elle n'était entrée en ce lieu de débauche si bien qu'elle s'aventurait en terrain inconnu. Ce fut la gamine qui l'accueillit.
La jeune femme se sentit soudain bien assurée. Une gamine. Elle n'était pas vieille la Gaelig. Un peu plus de 20 ans guère plus, mais tout de même face à cette enfant, de l'age de Yunette mais au regard tellement plus ... Eavan en aurait eu un haut le coeur si seulement à cet instant elle avait été la femme de bien. Un sourire froid vint se dessiner dans la pénombre de la capuche tandis qu'on la conduisait jusqu'à quelques fauteuils moelleux.

Sieur, bonjour, ou belle nuit.
Bienvenu en notre établissement, dites moi ce que vous désirez, vos désirs seront des ordres à mes oreilles.

Eavan se permit un rire léger qui décontenança son vis à vis. La jeune femme rejetta son capuchon à l'arrière, découvrant son visage. Froideur, peut être un peu d'excitation non feinte mais pour d'autres raisons dans le regard. Adaptant le ton de sa voix à celle d'une femme aisée sans noblesse, elle répondit.

Jeune fille, j'ai entendu dire beaucoup de bien de cet établissement ... Et plus encore de sa propriétaire. Va donc lui dire que j'ai de quoi lui payer grassement ses ... services.

Sourire entendu.
Eavan savait qu'il se jouait là un moment important. Lambda avait elle reconnu en elle une toulonnaise ou bien en était ce finit de son anonymat ?

Une... femme...

Voilà qui allait plaire à la Mathi ! C'était fort rare les clientes féminines et sa patronne, adorait ça, vraiment. Elle aussi appréciait. D'ailleurs, son regard commençait à détailler la dame, imaginant ce que cachait la cape...

Jeune fille, j'ai entendu dire beaucoup de bien de cet établissement ... Et plus encore de sa propriétaire. Va donc lui dire que j'ai de quoi lui payer grassement ses ... services.

Un hochement de tête, un sourire en réponse au sourire entendu.

Bien, Dame, j'y cours... une boisson pour patienter ?

Sans attendre, elle lui versa une fée verte, à cette heure, il fallait au moins ça. La laissant s'installer, elle fila rejoindre sa matrone et lui apposa un baiser sur les lèvres... c'était le réveil qu'elle appréciait le plus, et ça la mettait en condition pour la cliente qui attendait.

Mathi... réveillez vous... Une cliente vous demande...

Un autre baiser, plus prononcé, pour la sortir des limbes du sommeil.

Une charmante cliente, elle devrait vous plaire... Elle vous attend, Mathi...

Une caresse sur l'épaule, un frolement sur sa gorge, effleurant plus bas... Un souffle... Mathi...

Assurance, décidément, cette amie, ne cessait de grandir. C'était tellement facile. Les cordes à tirer étaient tellement évidentes dans cette maison de pantins.
On lui versa un liquide dans un verre. Eavan sourit poliment mais plus que jamais elle sentait son coeur battre. Cela avait marché et ce n'étaient plus que des secondes qui la séparaient du face à face.
Elle entendit les pas de la gamine s'éloigner. Lorsqu'elle fut certaine qu'elle ne pouvait être entendue, la jeune femme se leva. Démarche silencieuse jusqu'à la porte. Autant de tours que nécessaire à chacun des verrous. Il ne s'agirait pas que l'un des occupants de la demeure s'en aille avant la fin de l'entrevue.
D'ailleurs combien étaient ils ... La gamine, le taureau, la vipère ... L'homme qu'elle avait posté non loin de là l'avait informé qu'une quatrième personne semblait partager ce toit. Quatre donc. Et surement aucun client. Au final peu de toulonnais osait venir là. Et quand même y aurait il eu un client à cette heure ci, il aurait bien prit soin de ne pas se méler à l'affaire.

Eavan entreprit, toujours en silence de prendre connaissance des lieux. Un peu. Doucement elle retira sa cape, qu'elle déposa sur l'accoudoir d'un des fauteuils, comme le ferait un invité. La jeune femme déposa son épée dans un pli de sa cape, la pointe reposant sur le sol et la poignée à portée de main.
Son regard se posa sur le verre qu'on lui avait amené. Regard dédaigneux. Elle n'y toucherait pas.

La jeune femme attendit ensuite avec patience, le sourire aux lèvres.
Le face à face serait intéressant.
La Mathi avait surement croisé beaucoup de gens.
Mais elle avait fait la grossière erreur de la sous estimer ... Elle allait apprendre que quelqu'un de bien pouvait aussi être craint.

La Mathi avait tourné légèrement la tête lorsque Lambda s'était levée. L'idée d'un client tardif l'effleura un instant puis elle se rendormit aussitôt.

Elle rêvait de bras doux qui l'enlaçaient, de caresses sur sa poitrine qui palpitait, son souffle commençait à s'accélérer lorsque la voix de la jeune femme la fit s'éveiller. Elle s'apprêtait à invectiver Lambda lorsqu'elle prit conscience de ce qu'elle venait de dire.

Une femme ? Tu en es sûre ?

Marthe fronça les sourcils. Non pas d'étonnement qu'une femme veuille venir se pervertir dans sa maison, mais d'après ce qu'elle avait vu de Toulon, il ne lui semblait pas qu'il puisse en être une seule capable de franchir le seuil de l'établissement.

C'est une étrangère ? Comment est-elle ? Décris la moi.

Elle ne savait pourquoi la méfiance l'avait emporté sur l'appât du gain, mais elle savait qu'il lui fallait faire très attention à elle. Beaucoup la soupçonnaient d'être à l'origine des folies de Yunette, et ne portaient guère la Mathi dans leur coeur.

Et il faudra réveiller Flaminia! Lui donner le choix...à cette femme.

Et aussi m'assurer du renfort, au cas où ça tournerait mal.

La Mathi réveillée, Lambda l'aida à se vêtir, lui décrivant la visiteuse. Ses gestes doux effleuraient sa matrone.

Je vais chercher Flaminia, allez la rejoindre, il serait malvenu de la laisser seule trop longtemps. Faut il lever Ignitio aussi ?

Elle se prépara à aller éveiller la danseuse, chandelier en main, non sans avoir laissé un léger baiser sur l'épaule dénudée de la Mathi après l'avoir coiffée.

La description que Lambda venait de lui faire ne l’éclairait pas vraiment sur l’identité de la visiteuse, et ne dissipait pas le malaise qu’elle ressentait.

Marthe s’assit pourtant devant sa coiffeuse, se laissa brosser rapidement les cheveux que Lambda rassembla en torsade, à laquelle elle noua un ruban noir. Puis elle passa sur son visage fatigué un linge imbibé d’eau de rose, dessina au charbon le contour de ses yeux, farda ses lèvres de son rouge habituel. Elle lui enfila ensuite sur sa chemise une robe ample, sans manche, qui ne gênait pas ses mouvements.

Un dernier coup d’œil dans la glace, un frisson sous le baiser effleurant son épaule, et elle descendit au salon.

Arrivée à la porte, elle se figea à la vue de la femme qui accompagnait Yunette au tribunal. On lui avait appris qu’il s’agissait d’une ancienne générale, à ce qu’elle avait compris, et qu'elle était la marraine de sa fille.

Tout cela n’était guère pour la rassurer, quoique… en y songeant bien, il lui semblait qu’elle était maintenant garde épiscopale… la crainte du Très Haut, comme ils disaient, devrait l’empêcher de faire un geste inconsidéré.

Marthe s’avança légèrement, restant toutefois à distance raisonnable de la femme.

Bonsoir, Donà ! Que puis-je faire pour vous ? Je ne pense pas que vous soyiez là pour profiter de ma marchandise, non ?

La Mathi ne quittait pas le froid regard de Eavan, prête à parer à toute attaque de sa part. Comment ? Elle ne le savait, mais une chose était certaine, elle se défendrait contre cette ridicule statue « bien pensante ».

La Mathi fut fidèle à elle même. Vulgarité, provocation, à mi chemin entre l'attitude aguicheuse des catins des tavernes et l'air supérieur des nobles de bas étage. Eavan en aurait eut un haut le coeur si elle n'avait pas choisit d'être là. Mais tout sentiment de malaise ou autre soucis gastrique s'évanouit. L'air de statue grecque, figée dans une expression tragique de surprise, cela suffit à faire circuler une onde de pouvoir plaisant dans chaque fibre du corps d'Eavan. Et si ce n'était ce léger rictus au coin des lèvres, rien n'en avait filtré. Elle venait de la déstabiliser. De la surprendre.
Elle pouvait lire dans l'attitude de la vipère, l'inquiétude. Oh elle doutait que la Mathi s'abaisse à jeter un oeil vers la porte. Ce qui la trahirait. Mais cette distance et cette prudence étaient bien pour plaire à la Baronne.

La jeune femme se sentait un peu reine sur ce trone improvisé. Mais il fallait garder la tête froide. Elle avait entendu les pas de la gamine aller à une autre pièce. Devait il arriver des renforts ?
La vipère sembla reprendre son aplomb. Tant mieux. Eavan tirait décidément beaucoup de plaisir à la voir vaciller. Une chute trop précoce aurait abrégé l'entretien et cette dose de pouvoir malsain.

Bonsoir, Donà ! Que puis-je faire pour vous ? Je ne pense pas que vous soyiez là pour profiter de ma marchandise, non ?

Voilà des présomptions bien hasardeuses. Que savez vous réellement de moi ? Ce que l'on vous en dit ?

Sourire amusé.

Mais pensez vous que l'on sache que je suis ici ? Mieux ... Pensez vous que l'on vous croierait si vous l'affirmiez ?

Légère pause, appréciant l'instant. Cela était totalement vrai. Eavan avait une cohorte de gens à son service qui jureraient qu'elle était dans son castel salonais ce soir là. Et qui en face pour les détromper ? Les honnêtes travailleurs d'un bordel déjà bien compromis dans un précédent procès où tout le monde savait mais personne ne pouvait prouver.
Lorsqu'elle sentit la Mathi prête à répondre, Eavan enchaina. Abrupt. Fixant son regard froid dans celui de la Mathi.

Votre fille a faillit perdre la vie. Il y a peu.

Marthe ressentait l'arrogance de la jeune femme et se retenait pour ne pas lui laisser le plaisir de la voir s'exprimer vulgairement. Et pourtant, seul le sans-nom savait quels mots elle était capable d'employer pour blesser et humilier.

Mais cette satanée bonne femme, il était clair qu'elle ne se laisserait pas prendre à ses phrases assassines qui faisaient quasiment toujours mouche. Non, elle resterait calme, elle avait du souffle, de toute évidence, et des appuis, c'est certain. Il fallait jouer finement et, surtout, gagner du temps. Attendre que Flaminia et Lambda se décident à les rejoindre.

Votre fille a faillit perdre la vie. Il y a peu.

La Mathi ne put s'empêcher de sursauter légèrement à cette annonce et, d'une voix troublée, ne put que répéter :

Perdre la vie ? Comment, où ?

Il était hors de question pour Marthe que quiconque lui prenne sa fille, et surtout pas la mort. Sa mort lui appartenait, à elle, sa mère, et à personne autre qu'elle.

Que le Très Haut en soit témoin, Eavan adorait décidément la déstabiliser. Un sourire, qu'on eut pu trouver un tantinet sardonique, mais pas trop tout de même, apparut sur ses lèvres.

Moi qui pensait naïvement que vous aviez tout fait pour que cela arrive ...

L'expression mi ravie d'Eavan se durcit. Ce n'était pas de l'amour qu'elle avait capté dans la voix de la Mathi, ni de l'inquiétude .. Non .. Plus de la colère ... Un peu comme si on avait faillit lui oter un droit, un privilège ... Un jouet.
Une bouffée de colère faillit prendre le controle de la jeune femme, qui, à force de s'imposer ce genre de verrou, parvint à garder ses esprits clairs et son corps immobile.
Après un bref silence, elle reprit. D'une voix tranchante mais pas particulièrement aggressive.

Je ne vous dirais pas où ... Vous auriez vite fait d'envoyer votre .. enfin .. vous savez .. votre chien de chasse.

Sourire mielleux. Le souvenir de l'épave était encore bien présent. Que cette homme était pathétique. Il était parvenu à se défaire de tout ses attribus humains. Un animal, il n'était plus que ça.

Le comment est plutot intéressant. Votre fille est devenu un soldat ... comme moi. J'imagine que c'est bien loin de votre but initial.

Eavan se refusa à révéler que Yunette avait commis des exactions. Et de plus en compagnie d'hérétiques. Non ... La Mathi n'était pas obligée de connaitre les menus détails des évènements. La fille se battait désormais épée au poing. Et même si Eavan n'avait jamais souhaité une telle vie à sa filleule, celle ci lui ressemblait désormais. Bien plus qu'à sa mère en tout cas.
Sourire à nouveau. Froid.

Que la vie est surprenante, n'est il pas Marthe ?

Toulonnais débarqué Nombre de messages : 3 Date d'inscription : 30/07/2009

La brute-loque sursauta dans son demi-sommeil. Des éclats de voix arrivaient jusqu'à lui, vautré sur un vieux divan dissimulé dans une alcôve du rez de chaussée. Il était censé surveiller les clients irascibles, denrée rare car ils étaient toujours satisfaits des prestations offertes.

Il dressa l'oreille et, dans un éclair d'intelligence, reconnut la voix de sa maîtresse, ex-associée et ex-amie, mêlée à celle plus sèche d'une femme. Curieuse visite à cette heure. Il but à même la flasque de vin de jusquiame que la Mathi lui avait offerte dans un élan de générosité. Il l'avait déjà bien entamée, et commençait à en ressentir les effets, sans se rendre compte de ce qui lui arrivait.

Les battements de son coeur s'étaient accélérés jusqu'à battre le rappel dans sa poitrine, lui procurant la sensation d'avant la bataille, quand tout son être appelait le corps à corps, les coups frappés de son poing fermé. Mais de bataille, point à l'horizon. Sa vue se brouillait de près, pour être précise avec l'éloignement, objets nimbés d'une aura étrange.

Il se leva comme en un songe, chemise battant le bas de ses fesses poilues, nues, étendard de sa virilité en berne, et s'approcha du salon. Il les vit.

Elle, la Mathi, la seule femme qui ait eu un pouvoir sur lui. Et quel pouvoir. Par elle, il en était réduit à cet état larvaire qui ne le quittait plus depuis la fameuse nuit.
Et l'autre, droite comme un I, allure guerrière, pensées rectilignes. Sa face cabossée rougit soudainement, ses pupilles totalement dilatées lui conféraient un air halluciné, sa transpiration s'était tarie, ainsi que sa salive. Il se faisait l'effet d'un arbre sec et noueux.

Il essaya de parler, mais aucun son ne sortait de sa gorge desséchée. Un éclair lui vrilla le cerveau et il se précipita sur la jeune femme, tête en avant, bélier forçant la porte. Mais ses jambes n'obéissaient plus de la même manière qu'à l'habitude, se lançaient en mouvements désordonnés, et son assaut fut esquivé facilement.

Désemparé, il se tint face au mur, cherchant en vain a rassembler ses souvenirs d'homme fort.

Que la vie est surprenante, n'est il pas Marthe ?

Surprenante, la vie ? Oui, certes. Mais pour l'heure, la vie, l'histoire, tout semblait échapper à la Mathi. Sa fille soldat, quelle horreur... Et cette pimbêche qui se gargarisait. Pour Marthe, les femmes qui s'engageaient dans l'armée étaient toutes frigides, ou frustrées, ou les deux. Et elle ne pouvait imaginer qu'entre une vie de débauche et une vie de soldat, aux ordres d'imbéciles, l'on puisse choisir cette dernière.

Des envies de meurtre la rongeaient, et elle aurait volontiers planté ses griffes dans les yeux de la prêtresse des bien pensants, pour en extirper cette morgue et cette assurance dont elle faisait preuve.

Elle siffla plus qu'elle ne prononça :

Surprenante, en effet... mais méfiez-vous des surprises, qui risquent de vous exploser au visage.

Elle fut interrompue, et soulagée, par l'entrée d'Ignitio. Soulagement de courte durée. Cet imbécile avait sans doute trop forcé sur le vin de jusquiame, et ses mouvements désordonnés en attestaient.

La jeune femme avait esquivé sans peine la brute, et fouillait le salon du regard, sans doute à la recherche d'une arme. Marthe s'approcha doucement de la table où était posée une lourde jarre de grès, mais fut prise de vitesse par Eavan et se recula précipitamment, s'appuyant sur le chambranle de la porte.

La menace à peine voilée ne lui fit strictement aucun effet. La vie elle la connaissait. Malgré les apparences de femme respectée, comblée, noble, appréciée ... Il y avait quelqu'un d'autre et surtout une histoire qui faisait que plus encore que les voleurs, elle abhorrait ceux qui se nourrissaient des corps et des ames.
Le chien de chasse un peu plus tot mentionné entra.
Patibulaire.
Nu aussi.

Eavan su en instant qu'il y avait là un adversaire physique, le contraire parfait de la Mathi. D'ailleurs il semblait plus que saoul, dans un état second. La jeune femme avait quelques souvenirs de ce genre de regard. Et il n'y avait qu'un lieu : les champs de bataille. Que Marthe donnait elle à ses associés et sbires ? Avait elle besoin de les droguer pour avoir sur eux un quelconque controle.
La jeune femme se rendit soudain compte que Marthe ne devait pas connaitre le pouvoir de la confiance. Celui qui avait fait dire à un homme qu'il suivrait Eavan jusqu'en Enfer s'il le fallait. Et pourtant jamais elle n'avait abusé de lui ni l'inverse. Il n'y avait là que confiance.
La loque se jetta sur elle sans avertissement, elle s'y attendait un peu.
Avait il jamais averti avant de frapper ?
Eavan sentit son esprit se placer automatiquement en conditions de combat, des dizaines de décisions furent prises. L'une d'elle fut de ne pas dévoiler l'épée masqué par la cape, à coté du fauteuil, la seconde fut qu'elle avait là une occasion inespérée.

Tandis qu'après une première charge manquée Ingitio reprenait le sens de ses priorités d'attaques, Eavan balaya la pièce du regard. Si elle n'utilisait pas son épée, il ne lui restait que le coutelas à sa botte, bien caché lui aussi. Mais cela n'allait pas avec ses volontés.
Cet homme était de ceux de la pire espèce, elle n'aurait aucun mal a mettre ses scrupules de coté et à agir vite et bien. Au fond de son coeur elle savait qu'il y avait une part de vengeance personnelle sur les hommes comme lui, mais elle refusait de trop y préter attention. Si elle était là aujourd'hui c'était pour sa filleule.
La jarre en grès, à deux pas de là ferait l'affaire. Elle crut apercevoir la Mathi amorcer un mouvement d'ailleurs mais bien vite la couarde recula, laissant Eavan s'en approcher.

La jeune femme vit une ombre dans le coin de son champ de vision. Trop tard. Le désordre et l'état de confusion du chien de chasse étaient tels qu'il était imprévisible. Sa main ensserra l'avant bras gauche d'Eavan et un violent mouvement l'envoya contre un mur non loin.
Un cri étouffé franchit les lèvres de la toulonnaise.
Et tandis que sonnée elle se relevait en serrant les dents, elle ne pu que constater que son bras refusait de lui obéir. Un regard et elle nota sans aucun mal l'anormalité de l'articulation. La douleur était difficilement gérable. L'épaule était sans doute déboitée.
Voyant la brute revenir à la charge, elle bondit au sol, le laissant s'écraser contre le mur. Haletante, alternant les apnées pour juguler cette douleur irradiante et les moments brefs de respiration, la jeune femme avisa un meuble lourd, une armoire, non loin de la jarre convoitée. Sans ses deux bras elle ne pourrait pas se défendre.

Regard furtif pour vérifier que le fou furieux lui laissait le temps, dans son délire.
Rapide évaluation et analyse de la façon de procéder.
Elle posa son épaule sur le coin du meuble, serra les dents et d'un coup sec reconduit l'os du bras dans l'articulation de l'épaule, non sans étouffer une plainte douloureuse.
Des points volèrent devant ses yeux mais elle surmonta le malaise, testant aussitot la réussite de la manoeuvre. C'était clairement douloureux mais le bras répondait.
La bête se jetta à nouveau sur elle et un poing percuta son visage, l'envoyant butter contre la jarre.

La guerre, la guerre était déclarée. Lorsqu'il poursuivit l'offensive, elle n'eut aucun mal à le faire trébucher. Son équilibre était plus que précaire. Avec une rapidité qu'elle ne se soupçonnait pas après ces coups reçus elle souleva la jarre et l'abattit sans ménagement dans le haut du dos d'Ignitio.

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Ignitio avait le feu dans la tête. Plus rien ne comptait. Juste détruire ce roc qui l'avait évité, comme s'il n'était qu'un courant d'air, passager, comme si la masse de ses muscles, ceux dont il était si fier, n'avaient jamais existé que dans son imagination. Cette dernière n'était pas très prolifique chez lui et ne se mesurait qu'à l'aune des coups qu'il avait appris, ou intuitivement inventés. En l'occurrence, la jusquiame, loin d'accentuer ce peu d'imagination, le laissait quasiment sans faculté de réflexion et, au lieu de le pousser à innover, l'amena à charger une deuxième fois, tel un taureau furieux.

Mais cette fois, au lieu de foncer tête baissées, il profita d'un moment d'inattention de la combattante pour lui prendre le bras et la projeter au mur. Elle paraissait sonnée et, sans plus réfléchir, il voulut profiter de son avantage pour retourner à la charge. Poing en avant. Visage malléable, touché. Degré d'imagination nul. Parade imparable, glissade. Trébucher, trébuchet, mille étoiles.

Comme dans un songe, Marthe lui hurle dans les oreilles.

Relève toi, vieille carne. Démolis la, tue la, écrase la, ouvre lui le ventre, déchire lui le bas ventre. Eparpille ses entrailles aux quatre coins de la pièce. Bois son sang, méprise ses larmes.

Hurle-t-elle réellement ? Il ne sait plus, perdu, éperdu. Ses repères opèrent un repli stratégique. Surgir dans le néant et attaquer les vides.

Ignitio est au bord des larmes lorsque son dos craque sous le claquement précis d'une lourde jarre. Jarrets qui tressautent. Evanoui, pour un temps.

Fascination.

Malgré la crainte, physique, que la jeune femme procure à Marthe, cette dernière assiste, fascinée, à l'étrange combat. Elle passe sur ses lèvres une langue gourmande, espérant le sang, la chair blessée, les plaintes et les souffrances. Celles des autres, bien sûr. La Mathi craint la douleur qu'on lui inflige mais ne craint pas de l'infliger. Au contraire. Ces années passées ont forgé ses goûts et ses appétits. Rien ne vaut pour elle la jouissance provoquée par la vue d'hommes, de femmes à qui l'on fait subir les pires tortures.

Ici ce n'est guère qu'un hors d'oeuvre, mais la personnalité de la combattante pimente le plat. Et d'imaginer Eavan aux prises avec un Ignitio rendu fou par la drogue et les coups reçus décuple ses envies de carnage. Oubliant sa couardise, et profitant du dos tourné, quelle erreur, elle se jette sur la jeune femme, la plaquant sur le sol.

Empoignant les cheveux, elle tire la tête vers elle et, de sa main libre, lui imprime cinq longues barres de ses ongles sur le visage, du bas du menton à la tempe, avant de lui claquer le front sur le dallage froid. Elle se relève très vite, accorde un coup de pied à Ignitio, lui intimant ainsi de se lever,

Elle est à toi !

puis se recule, proche de la sortie, ne voulant pas risquer un coup perdu. Elle attend avec impatience, ne doutant pas de l'issue du combat.

A peine victorieuse de son balourd drogué, Eavan, dont la main allait déjà au manche de la dague dissimulée, fut plaquée au sol. Le temps de reconnaitre une mèche des cheveux de Marthe, sent 5 ongles tracer des lignes sur son visage.
La position ne lui permet pas de se dégager rapidement, la main, par contre à saisi le manche de l'arme, il suffirait d'un peu d'espace pour ...
Sa tête fut propulsée contre le sol. La douleur fulgurante et froide la laissa pantelante, semi évanouissement, incapacité de réagir durant quelques secondes. Bien heureusement la Mathi ne renouvella pas. L'idiote.
Eavan, elle, savait frapper, et Ignitio en avait encore pour au moins plusieurs secondes de dérive incertaine. La jeune femme reprit peu à peu le controle d'elle même, sentant le sang couler sur son visage.
La prise à la dague se raffermit.
La jeune femme entreprit de se relever. D'abord décoller son corps du sol. Effort certain. S'appuyer sur un genou, impossible de bouger la tête pour le moment. La douleur immobilisait les muscles. Mais bientot elle put commencer à se redresser.

Les secondes s'égrainaient dans cet effort sans qu'elle n'en ait la notion. Lorsqu'enfin elle releva la tête, derrière le rideau sanguin présent sur son visage elle distingua la Mathi avec un sourire malsain au visage. Pourquoi ? Eavan n'avait qu'une poussée à donner et elle pourrait la prendre par le col ...
Alors qu'elle achevait de se relever, on la plaqua à nouveau au sol.
Avec plus de violence.
Une main tentait déjà d'arracher ses vêtements.
Le chien était laché ...

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Réveil.

Un coup de pied de la Mathi lui fait oublier la douleur de son dos. La perspective de gagner la proie le fait se lever. Le sol tangue et mille étoiles virevoltent autour de lui. Ses jambes vacillent quelque peu. Il distingue la silhouette allongée qui commence à se mouvoir, faisant mine de se mettre debout, face à La Mathi. Il se jette sur elle, le désir et la rage mêlés décuplent ses forces et il tente d'arracher les vêtements de la jeune femme lorsqu'il s'arrête, comme tétanisé.

Un éclair dans la tête, puis un second. Marthe se transforme. Visage blanc bouffi, yeux porcins qui vrillent son crâne. Des images qui défilent, images des temps heureux. Douce sensation des os d'enfants qui se brisent entre ses mains, battoirs. Merveilleuse jouissance à l'écoute du bruit mou des entrailles sorties d'une jeune victime éventrée après avoir été violée et fouillée en tous sens. Pernicieuse odeur métallique du sang frais, si chaud.

La brute est heureuse soudain. Un sourire niais apparaît pour un temps sur le visage ingrat, bien vite remplacé par une expression terrifiée.

Une loque. La peur qui s'insinue dans ses veines le fait trembler tout à coup. La jusquiame, prise en trop grande quantité, cause une agitation de tous ses membres et la confusion s'empare de son esprit.

Soudain, il bascule sur le côté, s'assoit et éclate en un long rire strident, surprenant.

Les vêtements n'eurent même pas le temps de céder. Le geste s'arrêta aussi brutalement qu'il avait commencé. Eavan ne comprit pas, encore sérieusement sonnée, elle se retourna pour faire face à son adversaire, celui ci partit dans un rire désagréable.
Expectative devant le spectacle, la jeune femme regarda la Mathi, neutre, regard froid, puis reporta ses yeux sur Ignitio. L'homme méritait une sanction pour ses méfaits.

Eavan se rapprocha de l'homme, méfiante, elle ramassa la jarre en grès et profita du fou rire incompréhensible de l'agresseur pour lui asséner un coup sur le coté de la tête. Le rire cessa net et le pantin s'effondra comme une poupée de chiffon.
La jeune femme retrouva un peu de son assurance, et cela était encore plus terrifiant. Du sang coulait sur son visage, un peu avait séché d'ailleurs, son corps avait intégré la douleur des coups reçus. Elle se dressa face à la Mathi, visage fermé, expression d'une dureté absolue.

Je vous conseille de regarder Marthe.

Eavan tira son poignard et s'accroupit près de la brute assomée et droguée. La nudité à partir de la taille l'arrangeait bien. D'ailleurs ses gestes furent d'une sureté et d'une précision inquiétante au vue de la situation. La lame aiguisée trancha ce qui permettait à l'homme de se comporter comme un animal, prenant qui il voulait quand il le souhaitait. Cette période était terminée, définitivement. Il ne lui resterait plus guère que ses poings mais sans doute n'oserait il même plus s'en servir.
Elle abandonna les morceaux récoltés auprès de sa victime, se relevant à nouveau. Ses mains souillées furent essuyées sur la chemise de l'émasculé, et son regard alla a nouveau à la Mathi. Ignitio n'était plus un problème. La drogue allait sans doute finir par prolonger l'inconscience, et le sang perdu l'affaiblirait.

Calmement Eavan alla se rasseoir à sa place, rangea l'arme devenue brièvement instrument chirurgical, une fois nettoyé dans son fourreau. Sa main caressa la poignée de son épée. Son regard fixé dans les yeux de la Mathi, Eavan reprit comme si rien ne s'était passé.

Vous devriez laisser Yunette tranquille.

Flaminia est éveillée depuis l'aube. Pas pressée, elle se la coule douce allongée avec indolence sur son matelas.
La baisse actuelle des activités lui permet de s'octroyer de tels moments de détente. Période de vacances. C'est toujours comme ça.

Elle sort de sa torpeur par sa prise de conscience fulgurante d'un problème majeur : quel fard à paupière ira le mieux avec son teint aujourd'hui ? Vite, direction le miroir pour se faire une idée. Cet instant d'angoisse est éphémère. La brunette, pas du genre à se tracasser pour quoi que ce soit, a les traits bien reposés, impression de bien-être renforcée par sa peau hâlée. Elle se décide dés lors très naturellement pour une couleur claire nacrée.
Elle en est à la mise en valeur de ses cils quand la gamine entre en trombe dans sa chambre.
Paraît qu'elle doit descendre d'urgence. Grabuge au rez-de-chaussée.

"Mais ... mais ... dans cet état ? Je sors du lit !!! Je ne suis pas prête."

Le regard de Lambda lui fait comprendre immédiatement qu'aucune excuse ne sera acceptée. Flaminia a juste le temps d'enfiler une houppelande bleue puis se précipite au salon.
Encore une histoire de client plaintif, sans doute parce que sa bonne femme a percé à jour son manège. "Elles m'ont saoulé. Ce sont des diablesses. Je n'ai rien fait, l'argent elles me l'ont volé." Pfff, toujours les mêmes dénis foireux.
Ah ? Non, c'est une femme. Pas commun celà. Une épouse ?

Flaminia ne va pas plus loin dans sa réflexion stoppée nette par la deuxième surprise gisant ensanglantée dans un coin.
"Haaaaaaaaaaaaaaaa !"
Elle ne peut retenir un cri de dégoût, prise de hauts le coeur à la vision de cette boucherie.
Ignitio. Cette brute. Presqu'un animal. Ce châtiment ... Qui ?
Elle aperçoit La Mathi l'oeil mauvais, nettement sur ses gardes.
La tension entre elle et l'inconnue transcende l'atmosphère de la piéce.
Les gémissements de l'homme mutilé en deviennent quasiment anecdotiques.

Vous devriez laisser Yunette tranquille.

La femme a parlé. Glaciale, ferme, menaçante.
Un prénom déjà entendu. N'est-ce pas l'ancienne mairesse ça ? Non, cela n'a aucun sens.
Intuitivement, Flaminia réalise qu'un affrontement est impensable. La danseuse n'a aucune formation au combat évidemment; l'intruse par contre ne craint manifestement pas d'user de violence.
Hum.
Elle tente un apaisement, sans intention de prendre des risques inutiles si ça tourne mal.

"Dame. Je ne connais point la raison de votre colère mais nous pouvons en discuter.
Notre établissement a mauvaise presse, je le sais. Pourtant, nous ne faisons de mal à personne. Au contraire.
En outre, cet homme a besoin de soins.
Je vous ai entendu parler d'une certaine "Yunette". Je peux vous assurer qu'il n'y a personne de ce nom ici. Vous devez faire erreur."

Eavan entendit vaguement un cri de dégout non loin de l'escalier. Le regard va une seconde dans la dite direction. Une femme. Pas la gamine. Une autre. La carrure n'était pas celle d'une femme de coups .. ou bien si, en douce. Mais elle n'a pas le coté reptilien de la vipère de la maisonnée.
La jeune femme reporta son regard sur le véritable danger.

"Dame. Je ne connais point la raison de votre colère mais nous pouvons en discuter.
Notre établissement a mauvaise presse, je le sais. Pourtant, nous ne faisons de mal à personne. Au contraire.
En outre, cet homme a besoin de soins.
Je vous ai entendu parler d'une certaine "Yunette". Je peux vous assurer qu'il n'y a personne de ce nom ici. Vous devez faire erreur."

Un sourire froid et presque mesquin apparut sur les lèvres d'Eavan. On eut dit un amusement avec un regard appuyé à la Mathi. Que c'était beau d'être entouré d'ignorance totale, de telle sorte que personne ne pouvait vous aider en quelque situation que ce soit.
Il lui tardait que la gamine s'y mette.
Sans la regarder la jeune femme entreprit de détromper la bien attentionnée catin.

Si vous ne savez pas vous feriez mieux de ne pas vous en méler. Votre maquerelle sait elle, de quoi je l'entretiens et cela me suffit amplement. Vos affaires, votre besoin de chair, ce n'est pas le problème évoqué aujourd'hui.

Légère pause. A croire que la menace n'était pas suffisante pour qu'on ne songe pas à interrompre l'entretien. Eavan devait donc bien faire comprendre ses intentions.

Le chien peut crever, c'est amplement mérité selon moi, mais en silence. Si vous voulez qu'il vive, vous lui prodiguez des soins maintenant ou bien vous attendrez que l'affaire soit bien entendue.
Et si vous souhaitez m'interrompre ou vous interposez, sachez que ma dague peut aisément raccourcir un doigt.

Laissant à nouveau un léger silence. C'est qu'il faut digérer tout cela. Eavan reprit d'une voix glacée.

Je sais ce que je fais ici. Je ne fais pas erreur. Je ne vous en veux pas ... personnellement. Mais ne me donnez pas de bonnes raisons de changer d'attitude à votre égard.

La voix se fit soudain plus douce, doucereuse même, presque comme si elle s'adressait à une vieille amie.

Marthe, votre cavalerie n'est pas au point. Mais revenons à notre sujet ... Laissez Yunette en paix. Sa vie lui appartient. Vous n'avez rien à revendiquer.

Stabat Mater Dolorosa

Je vous conseille de regarder Marthe.

La Mathi a suivi le conseil. Elle a regardé, sans tourner le regard. Elle a regardé la femme ôter le dernier vestige de ce qui faisait un homme d’Ignitio. Rien sur son visage n’a laissé paraître une quelconque émotion lors de l’opération, hormis une lueur sauvage, mais fugace, dans les yeux. Comme Ignitio, elle a appris à apprécier l’odeur de la peur, de la douleur et du sang.

Des pas dans l’escalier... Marthe se retourne et laisse passer Flaminia qui n’a visiblement pas encore saisi la situation et, avisant Ignitio dans une mare de sang, pousse un cri. La Mathi n’a pas le temps de réagir que déjà Eavan la regarde à nouveau, ne la lâchant pas un instant de son œil froid.

Vous devriez laisser Yunette tranquille.

La brunette réagit, sans savoir ce qu’il y a derrière cette simple phrase, elle essaie de calmer le jeu, comprenant, et ressentant surtout, la tension entre la femme et Marthe.

Et l’on dirait que l’ignorance de Flaminia l’amuse, l’autre, comme si cela pouvait lui donner un point d’avance. La Mathi bout intérieurement et écoute pérorer la pimbêche, réfléchissant intensément à un moyen de l’attaquer par surprise.

Marthe, votre cavalerie n'est pas au point. Mais revenons à notre sujet ... Laissez Yunette en paix. Sa vie lui appartient. Vous n'avez rien à revendiquer.

La convaincre de son amour pour sa fille, l’endormir… Son amour pour sa fille ! Balivernes que cela ! Il est tellement moins doux d’assouvir son amour que de satisfaire à sa vengeance.

Je revendique le droit d’aimer ma fille, le droit de la garder près de moi. J’ai été une mauvaise mère il y a bien longtemps, mais Yunette m’a pardonnée. J’aime ma fille, d’un amour que vous ne pouvez bien sûr même pas imaginer, étriquée que vous êtes dans votre monde sans nuances.

Elle s’interrompt un instant, regardant Flaminia qui va vers la brute et s’agenouille près de lui, puis reporte son attention sur la femme. Elle ne ressent que de la haine pour cette créature, une haine d’un autre âge. La haine, vengeance du poltron, dit-on. Elle s’en fiche. Elle n’est plus que haine.

Vous, vous n’êtes pas mère, que je sache ! Un ami me disait toujours que le langage du chagrin maternel est profond, et que le secret en est indéchiffrable. Que savez-vous, vous, du chagrin que je ressens lorsque vous me dites que ma petite est devenue comme vous, un soldat ! qu’elle a failli y perdre la vie ! vous semblez en être fière, alors que vous en êtes méprisable. Vous dites que je cherche à la briser, lorsque vous la poussez à guerroyer et risquer sa vie ! Partez ! Partez donc de ma demeure, vous n’y êtes pas bienvenue.

Elle s’appuie sur le chambranle de la porte, comme pour l’inviter à sortir, la regardant fixement, lèvres étirées en un mince sourire.

Partir ? Maintenant ? Et puis quoi encore .. Des petits gateaux ? Non mais ... La Vipère semblait oublier que ce n'était pas une visite de courtoisie. Eavan partirait que lorsqu'elle le déciderait, que lorsqu'elle en aurait fini. Bizarrement plus cela allait, moins elle se sentait menacée par cette femme sombre, et au combien faible.
Les mots glissèrent sur elle, comme l'eau sur le plumage irisé du col-vert. N'avait elle toujours pas compris qu'il y avait une armure forgée spécialement pour cet affrontement, une armure d'assurance, une amure d'amour, ... une armure de pleins d'autres choses aussi, bien moins avouables.

... étriquée que vous êtes dans votre monde sans nuances.

Eavan se rapella quelques mots employés par la Mathi. Nul besoin de relever sur son amour maternel débordant et inconditionnel, toutes deux savaient parfaitement ce qu'il en était.

Vous, vous n’êtes pas mère, que je sache !

Certes non, mais que la Vipère parle comme si elle savait, cela était intolérable. Quand bien même elle n'était pas mère, elle avait prit la suite de la sienne auprès de sa soeur. Mais ça ... peu de gens le savaient et encore moins en Provence. Et surtout pas cette femme.

Vous dites que je cherche à la briser, lorsque vous la poussez à guerroyer et risquer sa vie !

C'est le dispensaire qui se fout de la charité ! Fallait il rappeler à la Mathi le pourquoi des actes de Yunette ? Qui l'avait poussé du bord du gouffre et qui tentait maintenant de l'y rattraper ?
Finalement Eavan sentit une chose irrépréssible se produire. Pas vraiment sérieusement, mais diablement effrayante. Un rire commenca à partir du fond de sa gorge pour se déployer comme un cygne sur un lac. Il dura quelques secondes puis redescendit de là où il était venu. Simplement.

Eavan fit mine d'éclaircir sa voix.
Mon Dieu que cela était amusant.
Mais il était temps de frapper. Fort.

Allait elle gouter à nouveau à la joie de voir ce monument de péchés et de mal vaciller d'incertitudes et de doutes. Hum .. L'exercice était ardu. La récompense à la hauteur des efforts demandés.

Marthe, allons allons. Où est passé votre légendaire "sens de l'hospitalité" ?

Sourire, simple. Assuré. Amusé.
Inquiétant.

Ma chère, je me désole de vous voir dans tant d'erreurs. Je me sens obligée de vous désillusionner sur quelques points que je pense d'importance.

Tout d'abord, vous ne me connaissez pas. Du moins clairement moins que je ne vous connais.
Je pourrais vous parler de ce Von Frayner qui a partagé votre couche et vous a aimé. Cet homme dont sans nul doute Yunette a eut les qualités. Mais je vais aussi vous parler d'un autre homme. Celui qui est étendu là ... Celui que vous avez envoyé à votre fille, un soir, afin qu'il prenne ce qu'elle vous avait refusé. Le père de son fils.

Eavan marqua une très légère pause.

Vous conviendrez que je suis bien informée.

Puis elle reprit sur le même ton qu'avant cet aparté.

Non contente vous venez ici. Sur Toulon. Pour elle. Pour votre fille. Mais nous savons qu'il n'y a aucune part d'amour dans votre décision. Puisque vous obtenez sa confiance ... Et un soir, alors qu'elle est désamparée, vous la droguez.
A partir de là, je dois admettre que j'ai du laisser faire mon imagination, mais au vue de l'état d'Ignitio, je pense que vous l'avez de nouveau laché sur votre fille, comme on lache un molosse sur un carré de viande. Mais l'emprise de la drogue rend les gens bien différents de l'accoutumée.
La suite c'est que comme vous êtes incapable d'assumer vos actions, vos décisions et vos méfaits, votre fille s'est retrouvée dehors comme incendiaire.

Maintenant pensez vous réellement que c'est moi qui ait poussée ma filleule à guerroyer ? Ce n'est pas moi qui l'ait fait douter de la réalité de son existence, de la valeur de sa vie. Ce n'est pas moi qui lui ait appris la violence Marthe.

Eavan la regardait. On eut dit le regard d'un rapace. Face à une Vipère, la chose était bien de circonstances ...

Vous savez je ne souhaite pas qu'un jour, Yunette retrouve la mémoire des évènements. Parce que vous lui avez déjà appris la violence. Alors lui donner une excellente raison d'un faire usage .. Ce n'était pas très malin.

Vous avez transformé votre fille en incendiaire, je ne vous laisserais pas la transformer en assassin. D'ailleurs je doute que cette solution vous plaise. Bien trop risquée ...

Toujours le sourire aux lèvres, assise dans le fauteuil et la fixant d'un regard glacé. Eavan attendait patiemment l'effet de ses mots. La main posée sur la poignée de son épée, tandis qu'elle songeait à la manière de déstabiliser clairement la Mathi ...

La femme n’a pas bougé. Mais Marthe s’attendait-elle réellement à la voir partir ainsi ? Bien sûr que non… elle espérait juste montrer qu’elle n’éprouvait nulle crainte, juste désemparer un tant soit peu l’ennemie. En place du désarroi espéré, l’autre part dans un rire, point de départ de la montée enragée que subit alors La Mathi.

Je pourrais vous parler de ce Von Frayner qui a partagé votre couche et vous a aimé. Cet homme dont sans nul doute Yunette a eut les qualités.

A ces mots, le visage de Marthe semble se décomposer, l’espace d’un instant, pour retrouver aussitôt son air de mère outragée. Mais Eavan a marqué un point. La carapace vient de se fissurer, la rage prend de l’ampleur, bien qu’encore jugulée.

Lorsqu’elle évoque Ignitio, le viol de sa fille qu’elle a manigancé, elle regrette de ne pas avoir Yunette sous la main, afin de lui faire passer le goût des confidences. Mais elle n’est point là, et la colère monte encore d’un cran.

La suite lui arrive comme un brouillard rougissant , la fureur s’empare d’elle, lui ôtant toute capacité de réflexion et de prudence. Comme en un cauchemar, elle se jette sur Eavan, poussant un cri effrayant dénotant sa folie, met les mains autour du cou de la jeune femme et commence à serrer.

La jeune femme est forte et se défend, tandis que La Mathi, ivre de rage, prend plaisir à sentir les battements accélérés de son cœur, jouit du contact de ses doigts appuyant sur le larynx quand, tout à coup, elle se sent repoussée violemment en arrière, s’affalant contre le mur.

Elle porte une main à sa joue, puis regarde Eavan, hébétée.

Décidément elle commencait à un prendre un malin plaisir, un plaisir malsain ... à écraser lentement le masque friable de fard de Marthe. Enfin il y eut réaction. Une belle, une grande, une totalement jouissive, réaction. L'attaque physiquement. Elle doutait de rien la catin.
Eavan avait toujours le sourire au lèvres, tout juste se crispa-t-il lorsque la pression fut maintenue sur sa gorge. Il y avait la volonté de tuer dans ce geste là ... ou de la faire taire peut être.

La jeune femme se rappella le visage décomposé qui avait transparut un instant quelques secondes auparavant. Le masque allait se briser définitivement. Il y avait là le dernier sursaut du serpent, la Vipère était désespérée et folle de rage. Enfin son vrai visage.

Eavan sentait les doigts serrer sans retenu son cou. Il lui fallait réagir, il n'était plus temps de se complaire dans la contemplation de sa création, cette rage meurtrière. Tandis que lentement avec sang froid elle placait ses mains sous celles de Marthe, Eavan se prépara à frapper. D'un coup sec elle fit lacher prise à la furie et son poing droit alla faire reculer Marthe jusque contre le mur. Elle devait pas en avoir prit souvent des droites aussi percutantes.
La jeune femme savoura un bref instant le regard hébété de la maquerelle avant de fondre sur elle, épée au poing, sans prendre le temps de retrouver son souffle.

Debout ! souffla-t-elle d'une voix rendue rauque.

Elle attrapa la Vipère par le col, comme celles des chemins pour éviter la morsure. Sauf que celles des chemins elle prenait soin de les rejetter sur les bas cotés et ne prenait pas de plaisir à les malmener. Tandis que son bras gauche ramenait la Mathi sur ses pieds, son visage se collait à quelques pouces de son visage.
La plaquant au mur et sentant le plaisir d'acculer quelqu'un, Eavan releva la lame de son épée jusqu'entre leur deux visages.

Allons tendez la joue droite Marthe.

La voix rauque et sifflante ajoutait à l'horreur de la demande. Le plat de la lame ne laissa pas le choix à la vieille diablesse. Puis le tranchant se posa sur la joue. Et lentement, maitrisant parfaitement son ouvrage, Eavan offrir la chair à la morsure de la lame. A peine.

Voyez c'est votre sang qui coule. Ce souvenir sera léger. Prenez ceci comme un avertissement Marthe. Si vous m'obligez à revenir je m'arrangerais pour que cela soit irréverssible.

La plaie nette offerte par le tranchant acéré de l'épée n'aurait aucun mal à se refermer et ne serait qu'une ligne très légère quelques jours ou semaines plus tard. Eavan relacha son étreinte et essuya sa lame dans un pli de la robe de Marthe en s'accroupissant à sa hauteur.
Et d'une voix tendant vers la normalité, d'un ton totalement badin comme s'il s'agissait du temps qu'il ferait le lendemain ou de l'avancée des récoltes ...

Vous devriez laisser Yunette en paix.

Se relevant et remettant son épée au passe lame à sa ceinture, la jeune femme sourit, se dirigea vers le fauteuil et récupéra ses effets, remettant sa cape sur ses épaules. D'un signe de tête elle salua Flaminia, se demandant elle allait croiser la gamine.