Ce matin de mai....
La brume se levait. Au loin sur le chemin quelques silhouettes attendaient.
La fantasmagorie de l'instant renforça Paquita quand à la gravité des faits qui se déroulaient. Assurant sa besace à son épaule, elle s'avança avec détermination.Aucune des trois
silhouettes ne bougèrent. Quand elle fut à les toucher, Paquita les dévisagea.
Tous trois avaient le visage grave et fier, leurs yeux brillaient de différents éclats.Paquita porta son regard sur la plus petite des trois. Ghaniallia la dévisageait, fronçant les sourcils, elle la détaillait minutieusement. Paquita n'arriva pas à pénétrer l'énigme de ses prunelles noires.
A côté d'elle, Samo, l'homme, le teint recuit, avait une expression indéchiffrable.
Il y avait seulement dans ses yeux un calme qu'elle ne lui connaissait pas auparavant.
Il lui sembla qu'un peu d'affection y brilla fugacement.
A côté d'eux, Juan, lui, souriait. Il avait toujours dans les yeux cette amitié qu'il lui portait.
Paquita respira amplement. Sa famille, ses amis, ses parents...
Elle avait depuis peu renoncé à retrouver son véritable père, décidant une fois pour toute que ceux qui l'avaient trouvée, élevée et protégée, ceux-là méritaient toute son affection.
Juan fit un pas, prenant son sac soulagea son bras. Il lui entoura l'épaule.
Il n'était nul besoin de paroles. Tous savaient le coeur lourd de Paquita, sa colère, son effroi.
Tous les quatre, ils se tournèrent vers le soleil qui se levait, la brume se dissipait. Ils allèrent sur le chemin. Un peu plus loin, près d'un bosquet au bord du ruisseau, des chevaux paissaient. Paquita en reconnut deux, ceux des reîtres qui l'avaient menacée quelques mois auparavant. Ils avaient bien changé. La bourre qui les recouvrait montrait qu'ils vivaient en presque liberté. Paquita fut étonnée qu'ils n'aient pas été vendus mais elle se tut.
Juan porta les affaires de Paquita dans la roulotte. Ghaniallia ramassa les couvertures, les coussins, le chaudron... Possédant peu, les bagages furent vite faits.
Samo attela, déjà Juan montait sur l'un des chevaux hauts, de la main, il invitait Paquita à grimper sur l'autre, mais Ghaniallia s'interposa. D'autorité, elle alla attacher la bête par une longe à l'arrière de la roulotte. Puis prenant doucement mais fermement Paquita par le bras, elle la fit entrer à l'intérieur du véhicule.
Les deux hommes se regardèrent, interloqués mais haussant les épaules, chacun se plaça et lorsque Samo, les guides en main, fit claquer sa langue, le petit cortège s'ébranla.
A l'intérieur, Paquita se retint à la paroi, puis reprenant vite son équilibre, elle fit face à Ghaniallia.
Celle-ci la dévisageait. Enfin une amorce de sourire lissa les traits ridés de la vieille femme, rendant à ses pommettes hautes, à ses yeux sombres leur éclat d'autrefois.
- Paquita, tu t'es servie des herbes que je t'ai fait poser devant ta porte ?
- La tanaisie, l'armoise ? Oui...
- En as-tu eu assez ?
- Pas tout à fait, les gens ont commencé à me poser des questions, j'ai dû m'en servir pour éloigner les fourmis. Avec toute cette farine, ce pain, à la maison, ça a bien rassuré. Soudain Paquita comprit où Ghaniallia voulait en venir. Elle blêmit, chancela.
Dans son désarroi, ces derniers temps, elle n'avait pas pris la tisane que la vieille lui avait enseigné à préparer.
En silence, la vieille s'approcha, elle introduisit sa main ridée et déformée dans l'encolure de Paquita. Une douleur sourde fit grimacer celle-ci quand elle appuya à la base du sein.
- Il me semblait bien qu'ils avaient enflé.
- Ghanialia, je ...
- Il n'y a plus rien à faire,plus qu'à attendre et à être patiente. Paquita, sous le choc s'assit lentement. Elle qui pensait avoir été avisée, elle était consternée. Elle releva les yeux vers sa nourrice, en une prière muette.
Le visage de celle-ci se ferma.
- N'y pense même pas, si tu n'en veux pas, nous le vendrons, mais, ça, je ne le fais pas !
Paquita inclina la tête, elle se laissa aller sur la banquette et posa son bras sur son visage, laissant le tumulte la submerger.
Dehors Samo et Juan échangèrent un regard. Par la fenêtre ouverte, ils n'avaient rien manqué de la conversation. Les deux hommes laissèrent un joyeux sourire envahir leur visage. Piquant des talons Juan partit en un galop heureux...
Le soir venu, Juan ayant repéré un endroit à l'écart des villages, près d'un ruisseau, ils s'installèrent.
Les hommes allèrent chercher du bois, bientôt le feu crépita.
Ghaniallia remplit le chaudron d'eau claire. Paquita l'aida à laver au ruisseau les racines et les poireaux sauvages qui composeraient leur dîner.
Les hommes avaient préparé le campement. Le temps était clair et étonnamment clément pour la saison. Dans le ciel, les étoiles se
mirent à scintiller. Le repas avalé, la vieille ramassa les écuelles. Samo fit un geste de la tête à Juan qui d'un bond alla chercher les instruments.
Dès les premières notes Paquita fut saisie de nostalgie. Elle se redressa, sachant comment alléger sa peine, elle s'avança près du feu, prit la pose et se lança . L'air sombre, elle tapait du pied, claquait des doigts. La
musique montait en elle, elle prit le rythme, tournoya.
Samo et Juan, galvanisés par son corps qui répondait à leur musique donnèrent alors le meilleur d'eux mêmes. Paquita sut alors que ce germe en elle prendrait vie.
Elle sut qu'elle reviendrait,,,