Ce matin là, Paquita s'était levée plus tôt que d'habitude. Vite habillée, elle avait filé au moulin en grignotant un morceau de pain.
Tout en marchant, elle se disait que c'était bien un avantage que de vivre avec un boulanger.
Elle eut le plaisir de voir le soleil se lever. Le ciel clair annonçait une belle journée.
A peine arrivée au moulin, elle noua à la hâte un tablier blanc trop grand qui faisait deux fois le tour de sa taille, passa une coiffe pour ne pas poudrer ses cheveux de farine et commença à tirer les sacs de grain près de la meule.
Elle ressortit et ouvrit la vanne qui amenait l'eau à la roue.
Dans un grondement de tonnerre, celle-ci se mit en mouvement.
Paquita se rinça rapidement les mains et les bras dans le bouillon qui résultait de ce brassement, puis s'essuyant rapidement les bras, elle revint vivement vers la meule qui tournait avec un rythme lent.
La force qui se dégageait de cette pierre l'émouvait. Elle la contempla un instant fascinée.
Puis, elle se secoua, saisit un sac, le hissa sur une petite estrade et l'ayant prestement dénoué, en versa le contenu sur la meule.
Elle redescendit, vive comme un écureuil et attrapant une raclette en bois à long manche, elle étala le blé. Prenant soin de ne pas se faire happer par la meule, elle tourbillonnait autour de l'engin.
Le bruit des grains qui craquait, l'odeur du froment emplissaient Paquita de satisfaction. Elle en ressentait de petits frissons.
C'est grand bonheur que d'avoir une activité si plaisante, se disait-elle en son fors intérieur.
Quand tout le blé fut moulu, que la farine lui parut assez fine, elle la récupéra, la tamisa, en remplit des sacs.
Le temps passait, elle ne s'en aperçut que lorsque le dernier sac fut rempli.
Ce n'est qu'à ce moment qu'elle ressentit ses muscles endoloris. Tout à la concentration que nécessitait son travail, elle n'y avait pas pris garde.
Elle dénoua son tablier, le secoua dehors, une brise légère emporta la poudre nourricière qui ferait l'aubaine de quelques fourmis..
Paquita s'aperçut que quelques lourdes mèches s'étaient échappées de sa coiffe. Elle en fut contrariée.
Tu as eu de la chance, qu'elle ne se soient pas attrapées sous la meule. La prochaine fois, coiffe-toi mieux ! se morigéna-t-elle.
Les mèches chargées de farine contrastaient avec le reste de sa chevelure. Elle dénoua son chignon, agita la tête, battit les mèches pour les nettoyer. En un mouvement rapide, elle eut tôt fait de les nouer en une lourde tresse.
Elle regarda si autour d'elle tout était en ordre. Satisfaite par cet examen, elle referma la porte, tourna la clé et s'en revint par les chemins.
Elle était pressée de pouvoir mettre en oeuvre l'idée qui lui était venue à son réveil.
A la maison, il était encore bien tôt.
Elle entra sans bruit, ne se fit pas remarquer de Tancrel qui pétrissait la pâte en chantant.
Passant par la cuisine, elle déboula dans la cour. Empoignant une seille au passage, elle gagna le puits, en tira de l'eau pure et fraîche. Elle en prit dans ses mains et se frotta vigoureusement le visage. Puis chargée, marchant à pas menus pour ne rien renverser, elle se rendit dans la chambre.
Le feu était en train de s'éteindre. Elle le ranima, ajouta des bûches, fourragea un peu...
Se redressant, elle attrapa le chaudron et le suspendit à la crémaillère, elle y versa l'eau. Le chaudron n'était pas plein, loin s'en faut. Elle recommença son manège jusqu'à le remplir suffisamment.
Pendant que l'eau chauffait, elle alla à l'armoire, farfouilla dans les draps. Elle tira de la pile un linge de molleton qu'elle avait acheté à Oxalys quelques temps auparavant.
Elle s'approcha d'une tenture dans un coin de la chambre, en écarta les pans, puis prenant le tissu aux deux coins, elle le fit claquer d'un geste sec pour le déplier. D'un geste ample, elle le fit voler dans l'espace et le reposa sur le baquet. Elle retourna à la cheminée, l'eau commençait à chanter. Elle ramena une bûche qui avait roulé sous le chaudron. Puis redescendit chercher encore de l'eau.
En revenant, elle passa par la cuisine, saisit une branche de laurier, souleva le couvercle d'un pot de terre cuite, en tira des écorces précieuses d'orange. Elle prit le tout et remonta à la chambre.
L'eau bouillait à présent, elle prit un torchon pour ne pas se brûler les mains en tenant l'anse et alla verser l'eau dans le baquet.
Le linge s'affaissa et épousa les bords en bois. Paquita jeta les écorces dans l'eau Pendant que celles-ci se ramollissaient et diffusaient leur parfum, Paquita remplit à nouveau le chaudron. Cela lui prit plus de temps, la seille, la corde du puits, tout commençait à peser à ses bras.
Quand tout fut prêt, elle plongea le main dans le baquet, l'eau y était encore trop chaude, elle rajouta un peu d'eau fraîche et se déshabillant rapidement, elle y entra.
La chaleur du bain détendit ses muscles endoloris. Elle se laissa aller en soupirant d'aise. Un bruit au fournil la fit sursauter, la ramenant à son projet premier.
Elle saisit un savon, elle était bien aise d'en avoir fait provision lors du voyage qu'elle avait fait à Marseille avec Tancrel. Un sourire flotta sur ses lèvres à cette évocation. Elle se frotta vivement, lava ses cheveux, plongeant en arrière dans le baquet tout en se pinçant le nez, elle se rinça.
Contente et relaxée, elle se dressa, attrapa un drap sec et s'en enveloppa.
Elle entreprit d"essorer ses cheveux, de les démêler, puis les ayant passés à l'huile parfumée, elle les lissa, assise devant la cheminée.
Tout en regardant les flammes, elle rêvait à sa vie depuis que Tancrel y était entré. Certes, le travail était toujours aussi dur, aussi prenant. Mais la douceur et la chaleur de leur vie commune l'aidaient à tout supporter. Elle sentait que l'énergie qui émanait de lui coulait en elle comme un bienfait.
Ses cheveux presque secs, elle se redressa et s'activa.
Elle choisit avec soin des vêtements propres, les passa. Son nouveau jupon de percale, la comblait. Elle était contente de cet achat. Elle ouvrit la bourse de tissu qu'Oxalys avait fabriqué à sa demande, y versa de la poudre de racine d'iris, puis la resserra avec un long ruban. Elle passa un bout de celui ci après le cordon du fixait son jupon à sa taille et fit un noeud. Elle évalua que la bourse battrait son mollet.
Parfait, se dit-elle,
mes pas seront parfumés.
Elle enfila ensuite camisolet, bas, houppelande, ceinture et enfin elle choisit des chausses de cuir fin.
Elle tournoya dans la chambre, fière de se sentir jolie.
Elle s'approcha du baquet. Attrapant les quatre coins du linge dans une main, elle tira le tout hors de l'eau. Il s'agissait de faire doucement pour ne pas tremper ses beaux habits. Elle ne voulait pas non plus mouiller le plancher.Tenant le linge d'une main au dessus du baquet, elle le lissait de l'autre dans son poing fermé. Quand toute l'eau s'en fut écoulée, elle mit le linge mouillé dans la seille.
Elle se pencha au dessus du bain pour évaluer la pureté de l'eau.
Elle se redressa bien aise : l'eau était propre. Le fait de se baigner chaque jour dans l'eau fraîche près du moulin avait des avantages. Outre le fait de la délasser après l'effort, l'eau froide tonifiait son corps et elle n'avait pas ensuite à changer l'eau du baquet !
Elle alla chercher un autre molleton, le fit voler comme le premier, rajouta de l'eau bouillante, jeta dedans la branche de laurier.
Puis elle descendit, cascadant dans l'escalier qui menait au fournil.
Elle s'arrêta sur le seuil. Tancrel lui tournait le dos. Il surveillait la cuisson de son pain. Celui-ci semblait cuit à en juger par l'odeur délicieuse qui envahissait le lieu. D'ailleurs, sans se relever, Tancrel tendait le bras et saisissait sa pelle de boulanger.
D'un geste sec, il la fit glisser sous les miches et tira le long manche vers lui. Le pain apparut, doré, la croute fine et dorée
craquait de se retrouver à l'air.
Tancrel se retourna pour déposer son pain sur la banque, à cet instant, il avisa Paquita qui le regardait en souriant.
Ah, tu es là ! J'en suis bien aise, tu vas me goûter ça !Et se tournant vers le four, il alla chercher les autres miches qui prirent leur place à côté des précédentes.
Paquita l'admirait. Tous les gestes de Tancrel semblaient naturels, jamais il ne donnait l'impression de forcer. Elle eut un petit frisson qui remonta le long de son dos. Son sourire se fit plus large.
C'est vrai que ça sent bon... mais si tu veux bien, je voudrais te montrer quelque chose avant.Tancrel la regarda, avisant ses vêtements, il eut un sourire en coin. Quand elle le prit par la main et l'entraîna vers la chambre, elle n'eut pas besoin de le tirer, il avançait joyeusement.
Paquita se dit qu'il pensait à autre chose qu'à ce qui l'attendait. Le coquin allait avoir une drôle de surprise.
Quand il ouvrit la porte de la chambre, il en resta saisi.