[RP] Les larmes dans le bois du confessionnal

Dans l'un des coins de l'église, un confessionnal... De bois provençal, assez vaste, il permettait à qui désirait, de se délivrer de ses péchés. Ce qui l'attendait ce jour, ce n'était plus du péché, c'était bien pire, certainement...

Ainsi, le vieil homme attendait la visite... Cette visite... Avec une certaine appréhension.

Elle était passée se changer avant de se rendre à l'église. Une fois n'est pas coutume, elle ôta le fard qui lui couvrait habituellement le visage, ne passa sur ses lèvres qu'un peu de baume parfumé aux pétales de roses, qui les faisait juste briller, ne charbonna pas le contour de ses yeux, laissa visibles les marques que le temps avait laissées sur son visage. Elle roula ses cheveux en une torsade, qu'elle cacha sous une toque noire, en éteignant le feu agressif, et revêtit pour l'occasion une simple houppelande noire.

La Mathi était effacée pour un instant. Seule Marthe se livrerait au prêtre. Jamais il ne saurait quels desseins l'animaient réellement. Elle lui conterait ce qu'était la jeune fille, tombée sous le charme d'un homme, parti au loin, l'abandonnant elle et sa gamine. Elle ne lui conterait que ce qui l'arrangeait.

Arrivée devant l'église, elle jeta un coup d'oeil de droite et de gauche, vérifiant qu'aucun client possible ne la voie dans cette tenue, entra et se dirigea vers le confessionnal.
S'agenouillant, elle s'adressa au prêtre :

Me voici, mon Père. Que dois-je faire ? Par quoi faut-il commencer ? Je dois vous avouer que c'est la première fois que je viens me confesser. J'espère que vous aurez la patience de m'entendre.

Une âme composée de feu et de glace, dans une enveloppe charnelle plus qu'outrancière. Dépravée, même. Ainsi Aymé voyait-il la femme qui se présentait à lui, prêtre et serviteur de Dieu, afin de se repentir de ses fautes. Il la dévisagea un instant, et chercha dans ces traits qui avaient presque perdu de leur humanité, même sans le maquillage déposé avec excès, la sincérité. Pourtant, une légère senteur de rose embaumait l'air, et qui rappelait au doyen des Von Frayner une enfance, si lointaine.

Mais, s'étant juré de rester sur ses gardes, il gardait toutefois espoir. L'espoir... Le souffle de la vie. Ne jamais le perdre. C'était à ça qu'il s'était engagé en étant ordonné, à remettre l'Humanité sur le droit chemin. Non, ne pas laisser ses pensées troubler la tache qui était sienne.

Suivez-moi, ma Fille.

Prononcé d'un ton neutre, ces paroles semblèrent être le déclencheur d'une marche plus ou moins funèbre, qui mena Aymé et la fausse-pénitente dans le confessionnal. Mais elle non plus, ne savait pas à qui elle avait affaire. Peut-être s'en doutait-elle, mais rien de plus. La connaissance du vieil homme, par contre, était bien plus élevée qu'elle l'imaginait...

Ma Fille, si vous êtes là, c'est que vous avez péché, et que vous désirez vous alléger l'âme. Ainsi, je vous écoute, il n'y a ici que Dieu et mon oreille attentive. Dites nous ce qui vous tracasse.

Ainsi commençait une danse de mots inventés.

Dites nous ce qui vous tracasse.

Ce qui me tracasse ? Toi, vieux fou! je sens que tu es là pour me mettre des bâtons dans les roues. Je devine qui tu es, je suis certaine de ce que tu es...

Elle lui fit un timide sourire et commença d'une voix hésitante :

Voyez-vous, mon Père, lorsque j'étais encore toute jeune, treize printemps tout juste, j'ai fait la connaissance d'un jeune homme dont je suis tombée amoureuse, auquel je me suis donnée entièrement. Une petite fille est née de notre union. Puis Philippe, c'était son nom, Philippe von Frayner, nous a abandonnées pour aller guerroyer. Il m'a bien laissé un pécule mais, jeune et inexpérimentée, je n'ai guère songé à économiser et me suis bien vite retrouvée dans la misère.

Elle s'arrêta un moment, se concentrant pour imprimer quelque émouvant trémolo à sa voix et essuyer une larme au coin de l'oeil, avant de poursuivre :

Il me fallait survivre, j'avais ma fille à nourrir. Un homme m'a abordée, m'a alors proposé de lui accorder mes faveurs contre une petite somme. A contrecoeur, déchirée à l'idée de tromper l'amour que je portais à Philippe que j'espérais toujours voir revenir, j'acceptai la proposition. Vous ne sauriez imaginer la douleur et le dégoût que j'ai ressentis en commettant cet acte. Mais l'homme semblait satisfait de ma prestation, et me conseilla à ses amis et connaissances. C'est ainsi que je me mis à faire commerce de mes charmes, sourire de façade mais le coeur brisé.

La dernière phrase avait été chuchotée, noyée dans un sanglot qu'elle avait réussi à faire poindre. Le vieil empêcheur de tourner en rond serait-il dupe ?
Elle sortit un mouchoir, s'en tamponna les yeux, attendant une réaction du prêtre.

Rideau. Le rideau des sentiments qui s'abattait sur le cœur du vieillard. Sentiments contradictoires, l'amour et l'inquiétude s'affrontaient en lui, réveillant des visions intenables. Un soupir lui suffit à reprendre le contrôle de lui-même, et si la paroi du confessionnal n'avait pas été de bois, la pénitente aurait lu une détermination farouche dans ce regard gris, usé.

Les larmes de la Mathi semblaient faire baigner le confessionnal dans une atmosphère d'hypocrisie, mais cela, Aymé ne le sentit pas. Non, la seule chose qu'il sentait encore, c'était qu'il devait faire un choix. Le récit de sa belle-fille n'avait au fond de lui que réveillé la tristesse de ne pas avoir pu plus connaître son propre fils, mais nulle compassion, non, aucune. Ce qu'elle ignorait, c'était que lui-même était au courant de ce qui avait pu se passer au cours des années précédentes. Il savait que cette visite n'était pas si fortuite que ce qu'on tenait à faire croire. Il avait senti sur Touloun, arriver des vents de conflit, et il ne comptait pas rester sans rien faire.

Ainsi, reprenant son souffle, il chercha ses mots, prononcés d'un ton aussi objectif que possible.

Commerce de vos charmes? Ce que vous ne saviez pas, ma Fille, c'est que par cette action, vous vous rendiez coupable du pire des sacrilèges. Par cela, vous brisez ce principe si ancien de l'hymen. Vous dénaturez le sens même de l'acte d'amour, qui n'est plus que plaisir charnel. Ce n'est pas tant le fait que vous vous complaisiez dans la luxure et l'acédie qui m'offusque, loin de là. Non, ce que je ne peux tolérer, c'est que vous entrainiez avec vous la communauté toulonnaise.

Car, oui, je suis au courant de votre commerce, et ce depuis déjà plusieurs semaines. D'ailleurs, je vous sais gré de ne pas être venue icelieu avec vos atours de... hum... travail. J'accepte de vous absoudre de vos péchés... confessés, à la seule condition que vous fassiez preuve d'un peu plus de vertu à l'avenir.

Ainsi, puissent les Saints et prophètes intercéder auprès du Très-Haut, et qu'il te pardonne les péchés confessés.

Il se retint d'ajouter "sincères", à la fin de sa formule, puis, après un léger silence, durant lequel nul ne parla, il s'exprima à nouveau.

Mais je crois ne point m'abuser si je dis qu'il vous reste encore des choses à m'annoncer... Soyez sincère, cette fois-ci.

Le dernier mot, murmuré, ne laissait finalement présager rien de bon. Les larmes allaient prendre toute leur saveur.

Soyez sincère, cette fois-ci.

Que croyait-il donc, ce vieillard ! Que c’était de gaieté de cœur qu’elle s’était lancée dans cette carrière ? Qu’était-il donc pour la juger, lui qui ne s’était jamais préoccupé de sa belle-fille et de sa petite-fille. D’après ce qu’elle en savait, il ne l’avait prise sous son aile qu’il y a peu ! Alors ? Elle sentait en elle de la colère, de l’amertume, et cela se sentit sans doute lorsqu’elle reprit :

Sincère ? Je suis sincère, que croyez-vous donc ? Je ne suis pas devenue telle que vous me voyez parce que c’était mon but. J’étais perdue, simplement. Désemparée. Certes, je fais cela aujourd’hui sans éprouver de remords : je ne fais que profiter de l’appétit des hommes, je dirais même que par cela je protège les braves filles de leurs assauts, leur évitant ainsi le sort que j’ai subi.

Elle s’arrêta un moment, car elle allait maintenant passer à ce qu’il attendait certainement, elle allait lui confesser ce qu’elle avait fait à sa fille. Elle chercha longuement les mots, avant de continuer :

Mais si je suis ici, ce n’est pas pour vous demander l’absolution pour ces actes. Ce que je vais vous avouer est bien plus grave, impardonnable même, et sans doute aurez-vous du mal à l’entendre. Mais je me dois de vous le dire, de le dire, car c’est un fardeau que je traîne avec moi depuis quelques années.

Elle s’éclaircit la gorge et poursuivit, d’une voix basse à laquelle elle imprima quelques émouvants trémolos :

Comme vous le savez certainement, j’ai une fille, Yunette. Ma seule fille, que j’aime de tout mon cœur. Mais, par quelque détour de l’esprit, ou influencée par la créature sans nom, j’ai voulu vendre sa virginité à l’un de mes clients. Je ne me rendais pas compte de l’horreur de cette action, et trouvais que c’était une bonne idée, un moyen de rendre mon commerce plus rentable. Mais la petite a dû comprendre ce qui allait se passer, car elle s’est enfuie avant que l’acte ne soit consommé.

Son mouchoir à la main, elle se dit que le plus dur restait à venir et, malgré elle, espérait que le vieil homme tiendrait le coup en l’entendant. Elle avait beau être une catin, elle savait que ce qu’elle avait fait était indigne d’une mère, bien qu’elle ne regrettât absolument rien de ses actes. Elle ferait pire, d’ailleurs, du moins y comptait-elle.

J’étais tellement en colère, dans un état de fureur tel que, sans y réfléchir, j’ai demandé à l’un de mes clients de retrouver ma fille et de me la ramener ou, si cela s’avérait impossible, de lui prendre ce qu’elle m’avait refusé. Je sais qu’il l’a obtenue, par la force, avec violence. Voila, mon père, ce dont je voulais me confesser. Voila le regret, le remords que je traîne avec moi depuis ce temps. Et si je suis venue m’installer à Toulon, c’est pour revoir Yunette, essayer de renouer des rapports avec ma fille, pour la serrer dans mes bras, bien que je sache qu’elle s’y refusera. Je voudrai lui exprimer mes regrets de n’avoir pas su être une mère pour elle. Essayer de rattraper le temps…

Elle se tut, pensant qu’elle en avait assez dit. En en rajoutant, elle risquait de lui mettre la puce à l’oreille : elle sentait en lui une clairvoyance qui la dérangeait.

» [RP] "La Belle au Bois"
» dans ma nouvelle demeure .
» Quand le Soleil se couche et que le vent souffle dans les vagues.